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07/10/2021

La longue route de l'Otter II : 2ème partie et fin

 Pour l'instant, on est en pause. On désarme l'Otter II et on le bichonne. On n'a pas encore eu le temps d'insérer les photos pour rendre le texte plus vivant mais pour celles et ceux que la lecture ne rebute pas, voilà de quoi commenter la fin de notre longue route... Bonne lecture.

 

Marjean

 

Ce lundi 22 février 2021 ; 18:34 heure locale (TU-3).

 

Depuis ce matin tôt, Marjo s’est mise en route pour obtenir notre prolongation de Visa et, mis à part l’obtention de notre ZARPE (autorisation de départ exigé dans le futur port d’arrivée), elle a fait chou blanc. Elle qui est si douée en langues, a rencontré une difficulté encore jamais rencontrée. Accent chilien et masque – qui cache ce non-verbal si utile à la compréhension d’une langue étrangère – lui sont apparus comme un frein énorme à son décryptage auditif. Elle est rentrée très énervée car elle s’est retrouvée face à un mur d’interdictions qui l’ont, disons, énormément contrariée. Elle ne revient jamais bredouille de ses tractations administratives et ce, quelles que soient la langue locale à laquelle elle s’adapte avec une facilité qui me déconcerte et que j’envie toujours. Pour le coup, aujourd’hui : nada ! Elle est revenue à 13h30 avec la nouvelle que nous devions quitter la marina aussi vite que possible sous peine de voir notre test PCR obsolète. On a donc largué très rapidement les amarres et sommes venus mouiller quelques 15 milles au sud de la marina. Demain à la fraîche, nous irons une cinquantaine de milles plus sud à l’est de Chiloé (isla Anihue) qui sera notre première véritable escale. Nous en aurons beaucoup car nous avons un bon millier de milles à naviguer - uniquement de jour - jusque Puerto Williams. Ceux qui ont un boulier compteur dans la tête auront vite compris qu’on ne devra pas traîner si on veut être « en bas » à la mi-mars. Gageons qu’entre-temps nous aurons pu nous délecter des magnifiques paysages que nous font espérer les guides nautiques consultés.

Pour le moment, le vent est malheureusement sud ce qui va nous contraindre à naviguer beaucoup au moteur. Le régime de vents dominants est pourtant de secteur nord. Espérons que la Nina ne va pas encore cette année inverser les normes !

 

En attendant la découverte de cette terre inconnue dont nous rêvions depuis dix ans, sa géographie toute en calettas aussi pittoresques les unes que les autres, nous allons nous éloigner de la civilisation et savourer calme et  solitude. Adieu téléphone et internet pour un mois de sevrage. Vous pourrez toujours nous suivre sur le tracking et nous contacter par iridium en espérant que la Cordillère des Andes ne fera pas trop obstacle !

Voilà pour ce premier « rapport ». Nous allons profiter des derniers mois d’été austral alors que vous êtes en train de vivre les premiers signes de réveil de la nature. Nous formons le vœux qu’une vaccination efficace adoucisse bien vite vos vies trop confinées. Nous vous souhaitons un printemps propice aux belles balades, au jardinage, à la redécouverte de la possibilité de se retrouver en famille et entre amis. Ici, au Chili, nous qui avons été épargnés en Nouvelle Zélande où nous avons à peine été confrontés au port du masque, nous avons, l’espace des quelques jours vécus en niveau 2 de mesures sanitaires, pu réaliser combien chanceux nous fûmes en ces temps si difficiles dans la plupart des pays !... 

Ce vendredi 26 février (déjà) ; 09:06 (local time)

Déjà quatre jours depuis nos dernières nouvelles sur la longue route. Il faut dire que nous avons été bien occupés surtout par la navigation qui est loin du « confort » des quarantièmes rugissants ! Je suppose qu’il faut que je m’explique… Depuis Puerto Montt, nous avons navigué voiles + moteur car, pas de chance, le régime de vents actuel est plutôt sud ce qui est contraire à ce à quoi nous nous attendions. Nos navigations sont donc très bruyantes, notre Yanmar étant très loin de la discrétion qu’on pourrait en attendre. Bruyantes et attentives. Nous apprenons le golfe entre l’île Chiloé et le continent. Il se vide et se remplit toutes les six heures (alternance entre flot et jusant). Une fois sur deux, la situation « vent contre- courant » s’établit et lève une mer très chahutée. Naviguer au près serré – quand cela est possible – ou carrément le vent de face, relève de la stratégie. Il faut négocier les vagues car lorsqu’on les aborde de face, la proue plonge dans la plume et casse littéralement l’ère du bateau qui doit se relancer un peu plus loin. Et cela recommence jusqu’à la sortie de la zone critique. Il semble que ces zones correspondent à des remontées de fond. Elles surviennent en prévenant par la présence de « moutons » car le vent décoiffe alors les vagues et blanchit la mer. Cette situation se reproduit régulièrement ce qui nous contraint à redoubler de vigilance. Pas question de sortir un ordinateur pour écrire quoi que ce soit ! Pendant notre longue traversée, nous avions les longs quarts de nuit que nous meublions en travaux d’écriture. Depuis notre départ de Puerto Montt, nous sommes bien occupés et, le soir, nous sommes vannés et plusieurs soirées ont été écourtées pour récupérer sous la couette. Debouts au lever du soleil, c’est reparti pour une cinquantaine de milles ou plus ce qui, à 5 nœuds de vitesse, nous demande 10 heures de navigation. Le soir, arrivés au point d’ancrage, c’est la récompense : des mouillages tranquilles, à l’abri du vent et dans un silence, seulement interrompu par les cris d’oiseaux qui, ici, a contrario d’en Nouvelle Zélande où les possums font une hécatombe dans les œufs, sont très nombreux et d’espèces très diversifiées.

Les premiers mouillages furent néanmoins le lieu d’implantation de nombreux parcs de moules ou pisciculture à saumons. D’immenses surfaces d’eau calme leur sont réservées et nous avons dû slalomer entre les différents parcs pour atteindre les rares endroits restant accessibles aux voiliers.

Depuis hier, ces installations ont disparu laissant la place à une nature magnifique. Marjo nous avait sélectionné une caletta réputée située dans une réserve naturelle :  Puerto Juan Yates. Nous y avons expérimenté notre inexpérience en matière d’amarrage à terre. Certaines calettas exigent ce genre d’amarrage où, après avoir ancré, on doit porter de longues amarres à terre pour maintenir le bateau sur place quelle que soit la direction du vent. Bon, je vais faire court mais je me dois d’écrire que je fus content de ne pas avoir de public car, pour un premier essai, nous avons eu droit à un 3/10. Il est vrai que le vent montait hier soir lorsque nous sommes arrivés et qu’il a fallu très rapidement mettre le dinghy à l’eau après l’avoir retourné sur le pont, gonflé et armé de ses avirons. La pression était bien là. Première tentative pour porter la première amarre à terre. Trop court !  On rajoute une autre aussière et j’amarre assez haut sur un énorme tronc d’arbre échoué qui semblait être là, coincé, depuis des années. La deuxième amarre fut placée sans plus de difficulté et, ayant bien tendu ces deux lignes de façon à faire un beau triangle entre elles et l’ancre, nous prenons l’apéro alors que le soleil descendait lentement vers l’horizon magnifiant notre mouillage d’une belle lumière propice à la contemplation. Soudain, un bref mouvement à la surface de l’eau attira notre attention et, ce que nous croyions avoir déjà aperçu lors de notre manœuvre d’ancrage, se vérifia : une loutre, qui chassait probablement pour son souper, est venue à plusieurs reprises à la surface et s’est même mise à faire la planche ! Nous étions sous le charme…

Ce matin, il n’y avait pas un souffle de vent. Nous montons sur le pont et constatons que notre position de la veille n’est plus du tout la même, nos deux lignes réunies, bien parallèles. Fort heureusement, il restait encore (nous étions marée basse) 7,50 m de fond là où notre Otter s’était déplacé ! Je pense que mon 3/10 a encore bénéficié de la grande générosité dont ont pu bénéficier mes étudiants !

Retournant à terre pour libérer les amarres et faire ma petite enquête, je trouvai mon « énorme tronc d’arbre échoué » tout heureux d’avoir changé de place avec la marée haute ! Moralité, il faut choisir des points d’amarrage au-dessus du niveau de la marée haute (ce que je pensais avoir fait mais mal évalué). Comme un homme averti en vaut deux, on ne m’y reprendra plus !...

Alors que je récupérais les lignes à terre, nous entendions des sortes de mugissements et nous demandions quel était l’animal qui émettait un tel son car la présence de vaches était impossible ici. C’est alors que Marjo pu identifier les animaux (car ils étaient cinq) qui s’ébattaient à quelques encablures : des lions de mer. Impressionnants en tout cas ces cris !

Et c’est la mort dans l’âme que nous avons levé l’ancre et quitté ce petit jardin d’Eden où nous aurions pu rester en observation tant il semblait riche en découvertes possibles comme ce martin pêcheur dont nous avions identifié le cri.

Gageons que ce magnifique mouillage ne soit que le premier d’entre beaucoup d’autres qui nous attendent dans les calettas suivantes.

Ce samedi 27 février 2021 ; 18 :30 (heure locale)

Enfin, cet après-midi, le vent est passé au secteur nord ! Nous avons alors pu rallier notre destination à la voile, moteur stoppé. Un délice ! Une progression silencieuse à 5-6 nœuds sans une vague pour nous freiner ! Nous sommes entrés aujourd’hui véritablement dans les « canaux » qui sont un vrai labyrinthe d’îles dont beaucoup ne sont accessibles que par bateau. Nous avons croisé plusieurs embarcations de travail mais aussi des sortes de taxis dont certains passagers sortent leurs portables pour nous photographier. Il est vrai que les voiliers rencontrés doivent être rarissimes et, j’ose le dire en toute modestie, notre Otter sous voile vaut bien une photo. En fin de journée nous sommes arrivés dans la Bahia Dorita, un autre havre de paix mais squatté par un magnifique hôtel 5* dont les responsables nous ont accueillis avec gentillesse mais, masqués (brutal retour à la réalité covid). Ils sont venus à notre rencontre en bateau et nous ont annoncé qu’ils étaient complets et ne pouvaient nous accueillir. Marjo était déçue car elle se serait bien offerte une séance de bains dans les picines de l’établissement réputé pour ses cures thermales. On ne peut pas tout avoir ! Ces sympathiques personnes nous ont néanmoins offert la possibilité de nous amarrer gratis sur l’un de leurs corps-morts (bouée d’amarrage), généralement payants, en face de l’hôtel. Celui-ci, de loin, ressemble à un château fort qui nous a semblé surgir du passé. De loin, il me fait penser à ces forts construits par l’armée étatsunienne au cours des guerres indiennes et qui servaient de refuge aux colons s’étant aventurés un peu trop à l’ouest. Une fois tout près, c’est plutôt aux constructions japonaises qu’il fait penser avec toutes ses tourelles vitrées et une partie sur pilotis. Un bien bel établissement.

Et quel calme ! Le soleil continue à nous combler de ses rayons et ce depuis le début de l’après-midi. Toute la matinée par contre fut fraîche, humide et enveloppée de brouillard. Pas un souffle de vent et donc la brise Yanmar pour avancer. Quand un coin de ciel bleu apparaît, il est souvent accompagné de la dissipation des brumes matinales et de la réapparition du vent, pas fort mais bienvenu. Les voiles, comme nous, en frémissent d’impatience.

…/…

 Ce dimanche 28 février ; 07 :30 (heure locale)

Après une nuit immobile dans notre mouillage protégé de tous les vents, c’est dimanche et, comme chaque dimanche, Marjo prépare des pancakes ! C’est chaque fois un régal. Avec du sirop d’érable canadien comme cerise sur le gâteau ! Mmmmmmm…

Un petit bouquin traîne sur la table du carré. Je l’ai lu il y a dix ans lorsqu’une amie – qui savait notre rêve de Patagonie – nous l’avait offert : Le Monde du bout du monde de Luis SEPULVEDA. Il est retourné si bien que je n’en vois que le dos reprenant le résumé de l’ouvrage et cette belle critique de Michèle Gazier de Télérama me saute aux yeux. Tellement jolie, je vous la partage : « Ce livre a les vertus des coquillages de nacre que l’on colle à son oreille : la musique de ses phrases nous révèle le bruit sans âge de la mer. ». L’idée d’éternité contenue dans « le bruit sans âge de la mer » me touche car il me renvoie à l’idée que dans des milliers d’années, si l’humanité poursuit son autodestruction, la mer se sera refaite une santé, aura digéré toutes nos pollutions et, partout dans ce monde purifié par le temps, le bruit du ressac sera là, éternellement là, pour dire que la Nature aidée du temps qui passe sera toujours gagnante. Malheureusement, peut-être n’y aura-t-il plus personne pour en apprécier le bruit. Réfléchissons-y en prenant les résolutions nécessaires pour diminuer notre empreinte carbone et respecter notre environnement. Tous nos choix de vie doivent impérativement tenir compte de ce contexte si nous voulons préserver le futur de nos enfants et petits-enfants. Oui, je sais que ces réflexions sont redondantes mais la nécessité d’enfoncer le clou s’impose à nous tous les jours de notre vie de découvertes.

 

…/…

 

Ce soir, nous sommes arrivés dans la caletta EQUINOCCIO. Brouillard à couper au couteau suivi d’un crachin bien serré. Pas de vent. On n’a même pas hissé la grand voile. Juste un peu de Yankee pour appuyer le moteur  lors de timides reprises du vent. Une navigation un peu tristounette mais attentive car la visibilité était réduite à ½ mille. Le radar a tourné sans arrêt.

Alors que nous entamons un deuxième exercice d’amarrage à terre, un groupe de petits dauphins s’adonnent à une chasse manifestement efficace. Ils ont repoussé tous les poissons dans le fond de la caletta et se font plaisir. Un repas qui aura duré une petite heure, le temps pour nous d’amarrer en trois points. L’expérience d’avant-hier nous a bien servi et je nous octrois un 7/10 jusqu’à demain matin où, si nous n’avons pas bougé, je pourrai pousser jusque 8/10 ! On progresse !...

Avant de rentrer nous abriter, j’ai mis en place notre récupérateur d’eau de pluie et alors que j’écris ces lignes, un premier bidon est en train de se remplir. Elle n’est pas belle la vie ?... 

Caletta Jacqueline ce samedi 6 mars 2021 ; 16 :41 (heure locale)

Dûment ancrés et amarrés à terre comme des pros (on progresse), nous nous apprêtons à laisser passer ici le gros coup de chien de noroit qui va déferler sur la côte – PredictWind prévoit des rafales de plus de 50 nœuds ! Marjo a sélectionné le mouillage le plus sûr de la région et nous pourrons ainsi laisser un peu souffler notre moteur et nos oreilles par la même occasion.

Le mouillage est une petite anse cachée au fond d’une crique qui est déjà invisible depuis le « canal » principal. Nous sommes entourés de parois boisées quasiment impénétrables et le plan d’eau où nous avons immobilisé l’Otter est comme un miroir. Pour demain, une petite plage nous attend question de se dérouiller un peu les jambes et une cascade déverse son eau cristalline à une petite encablure à peine si bien que c’est le bruit de son ruissellement qui prend toute la place dans notre environnement sonore. C’est apaisant et propice au farniente. On va pouvoir souffler un peu et se reposer enfin car, depuis notre atterrissage à Puerto Montt et notre départ dans l’incertitude de notre visa, Marjo n’a eu de cesse que de solliciter les autorités pour obtenir l’autorisation de naviguer dans les eaux chiliennes le temps de « descendre » jusqu’à Puerto Williams. Ses tribulations administratives étant bien trop compliquées, je vous en ferai grâce sauf à dire qu’elles nous ont contraints à rallier Puerto Chacabuco où nous avons pu enfin obtenir notre sézame, une sorte de sauf-conduit sous forme d’une lettre attestant notre bonne volonté et la lenteur administrative du Ministère de l’Intérieur de Santiago dont dépend la réponse. Enfin, Marjo expliquerait les tenants et aboutissants beaucoup mieux que moi. Je le mentionne aux seules fins d’expliquer que notre situation est vraiment exceptionnelle et que, de ce fait, nous ne rencontrerons aucun voilier sur notre route. Nous ne la partageons qu’avec des navires professionnels seuls autorisés à transiter par les « canaux ».   

Les « canaux », parlons-en puisqu’il y a bientôt deux semaines que nous les empruntons. Certes, nous les avons découverts sous la protection d’un bel anticyclone qui nous a fait bénéficier d’un temps de demoiselles, ensoleillé et peu venteux. Aujourd’hui, c’était quelque peu différent. Départ à 08 :00 sous un crachin peu encourageant. Comme on doit avancer, on s’équipe comme des pros et on démarre une étape assez ambitieuse d’une cinquantaine de milles. Une fois sortis de la caletta Gato, les choses deviennent sérieuses. Nous étions vent debout et la mer du vent devenait franchement agitée. On a envoyé la grand voile, sous deux ris par prudence, pour stabiliser le bateau et avons ainsi poursuivi notre route, obligés de pousser un peu le moteur tant le clapot cassait notre vitesse. De temps en temps, le vent adonnant, il aidait quelque peu le moteur. En milieu de journée, le vent commença à forcir au point de nous contraindre à prendre le 3ème ris car les rafales montaient jusque 9 Beaufort ! On a eu jusqu’à 48 nœuds de vent mais, comme on en a vu d’autres, nous avons poursuivi notre petit bonhomme de chemin, notre Otter affrontant courageusement les rafales. Ce fut donc notre baptême des « canaux » ! Sur notre route, nous vîmes nos pêcheurs, voisins de mouillage, planqués derrière une île pour laisser passer ce coup de chien. Il semble donc que les locaux sont philosophes et préfèrent attendre plutôt qu’affronter. Ils travaillent, eux ; ils laissent les conditions difficiles aux intrépides qui savent qu’une jolie caletta les accueillera en fin de journée. Et, de fait, c’est avec soulagement que, en début d’après-midi, les choses sont progressivement rentrées dans l’ordre.  Le vent toujours dans le pif mais moins agressif et donc toujours au moteur, nous avons atteint notre havre de paix.  

Consultant les prévisions météos, nous nous rendons compte que nous allons un peu squatter ce merveilleux abri car, comme mentionné au début de ce billet, ce qui se prépare n’est pas du tout réjouissant et incompatible avec notre future traversée du golfe de Penas qui nous permettra de retrouver, au sud, la protection des canaux pour poursuivre notre route. On va donc patienter et… profiter de la vie au calme de « notre » caletta.

 

Canal Messier (Patagonie) le 15 mars ; 14 :00 heure locale.

Pourquoi tous ces sceptiques qui mettent à rien la crise écologico-climatique et poursuivent leur rêve néolibéral ne viennent-ils pas ici vivre une retraite réflexive à propos de l’incongruité de leurs avis et positions ? Ils se rendraient mieux compte de tout ce que l’homme a perdu en détruisant son environnement. La Nature est ici partout chez elle, comme aux premiers jours de son existence, semblant s’inscrire dans une éternité immuable. On a même l’impression de la déranger.

Nous faisons route vers le Sud sur le canal Messier qui est à peine ridé par un souffle de de vent alors qu’il est bien présent à l’ouest de notre position, loin de l’abri des canaux. Nous filons 6 nœuds et mon MacBook reste posé sur la table du cockpit sans problème. Le bateau semble posé sur l’eau. Au vu de tout ce que nous avons lu, c’est exceptionnel et nous en profitons pour avancer confortablement si ce n’est l’inconvénient récurrent de l’usage incontournable du moteur.

Hier, dans l’abri Puerto Francisco, nous avons été pris tous les deux par l’émotion tant cet antre de paix, ce refuge, respire la quiétude et la pureté. Une nature où seule une grosse amarre posée là pour les pêcheurs témoignait d’une rare fréquentation humaine.

Pénétrant cet abri réputé même protégé des cyclones, nous avons emprunté un petit canal d’une quinzaine de mètres de large, parfois un peu moins. Nous avions l’impression de naviguer dans les bois ! Les berges où l’idée même d’y voir un sachet en plastique nous semblait incongru. Elles respiraient la pureté et l’eau qui les baignait, très chargée en tanins, n’en était pas moins cristalline. Passé le goulet d’entrée, nous découvrons un lagon constitué de plusieurs anses et, au fond de l’une d’elles, notre mouillage. Une fois ancrés et amarrés sur deux arbres, nous étions sécurisés et pûmes partir faire aiguade, un torrent d’eau pure et potable coulant à proximité. Ce qui devrait être une corvée se transforme en expédition car c’est la première fois depuis que nous naviguons que cette possibilité nous est offerte, la qualité de l’eau dépassant largement celle contenue dans nos réservoirs ! En trois voyages, nous en avons ramené près de 200 litres.

Juste avant de quitter le bord, une jolie loutre adulte vint nous montrer son joli minois. Nous la vîmes, ravis, plonger à trois reprises avec l’élégance dont elle est coutumière. Encore un éclat de bonheur intégral.

 

Jeudi passé, arrivant au mouillage, de la caletta Puerto Milabu, Marjo se rend compte que les sondes des cartes ne correspondaient pas et que le fond remontait trop vite à son goût. Elle cule donc jusqu’à ce que la profondeur la satisfasse pour ancrer. L’ancre à peine engagée, je l’entends crier. Le moteur s’est arrêté net ! Alors que j’avais expressément et pour éviter ce genre d’incident changé l’amarre de l’annexe par un bout flottant, celui-ci, on se demande encore comment il a réussi à plonger jusque l’hélice, s’est fait prendre par celle-ci. Hélice bloquée. Je dis à Marjo de relancer le moteur en marche avant. Trop risqué de relancer le moteur. L’inverseur est bloqué. J’ai beau tirer sur l’amarre, elle est bien décidée à résister. On se regarde et on a compris. Jean va devoir rejouer à l’homme-grenouille ! Brrrr. L’eau me paraît d’autant plus froide que je dois y aller ! On ressort donc la combi 7mm (ça rassure) et je m’équipe. Bouteille sur le dos, quand faut y aller, faut y aller et plouf ! Je découvre un nouvel univers aquatique encore inconnu. Ce mélange d’eau douce et salée (un torrent grossi par les dernières pluies se déverse dans la caletta) crée une impression visuelle comparable à celle que l’on a quand on regarde un paysage à travers les ondes de chaleur d’une cheminée. L’eau est jaunâtre à cause du tanin qu’elle transporte. L’ambiance est oppressante.

Bon, bin c’est pas tout ça, c’est bien beau de découvrir un nouvel univers marin mais il faut s’occuper de l’hélice… L’amarre a fait 5 tours et s’est bloquée dans le coupe-orin. Je lui fais faire le trajet inverse puis la dégage d’un coup sec. Le sauvetage a été de courte durée et ne m’a pas pris trop d’énergie. Ma combinaison en néoprène datait de mes plongées en Belgique, il y a plus de 10 ans ; si bien que fort peu d’eau a réussi à y pénétrer. Encore bien que mes 52 jours de traversée m’avaient bien fait maigrir ! Bref, remonté à bord c’est surtout en me déséquipant sur le pont que j’ai senti que j’étais en Patagonie, bien loin de Fakarava (Tuamotu dont datait ma dernière plongée). Juste une petite différence de température !

 

Depuis ce matin, nous venons de croiser notre premier navire, le RIO DULCE de Puerto Montt, qui nous a salué de trois grands coups de sirène comme le font tous les navires rencontrés. Il faut dire que les rencontres sont de plus en plus rares au fur et à mesure que nous grimpons en latitude. 48°17’ Sud, à l’instant, latitude encore jamais atteinte. Plus que 8° petits degrés pour passer le Horn si la météo le permet. Ce serait quand même chouette que l’Otter II lui montre son bâbord !

 

Caletta Colibri. Ce lundi 22 mars 2021 ; 18 :53 heure locale.

 

De caletta en caletta, nous progressons vers le grand sud accompagnés de conditions atmosphériques inattendues car exceptionnellement clémentes. Des jours et des jours sans vent et ensoleillés. Pas ou peu de pluie (celle d’aujourd’hui accompagnée de bruines et brouillards fait exception).

Des rencontres avec la faune. Très peu avec la population qui se fait de plus en plus rare. Les dernières remontent à trois jours à Puerto Eden (70 habitants sous la vigilante protection de l’Armada). Nous avons pu faire le plein de diesel depuis un bateau local dépêché par l’Armada (très serviable) qui nous a recommandé la prudence covid lors de ce service. Le marinero qui nous a servi s’est plaint de l’isolement que la pandémie ajoutait à celui qui est leur quotidien. Il est vrai que, au vu de leurs pauvres habitations, leurs conditions de vie doivent être particulièrement rudes. Les derniers indiens Alacalouf y ont fini leurs jours. Encore un génocide oublié…

Ici, c’est le silence qui règne en maître dans tous les mouillages successifs que nous visitons. Ce silence est d’autant plus apprécié qu’il nous guérit du bruit du moteur qui nous accompagne le plus souvent en journée. Des dauphins endémiques nous escortent lors de chacune de nos entrées et sorties des calettas. Parfois, ils nous suivent et adorent se disputer la place à l’ombre de notre annexe que nous remorquons. Ils sont omniprésents. Il ne se passe pas un jour sans recevoir leur sympathique visite qui, parfois nous fait sursauter car ils surgissent sans prévenir  en soufflant à côté du cockpit. On aperçoit aussi de temps en temps une loutre ou un lion de mer (on les reconnaît maintenant par leur cri caractéristique).

Aujourd’hui, nous avons eu la visite exceptionnelle d’un phoque que j’ai aperçu alors qu’il nous poursuivait par bonds successifs à croire qu’il jouait au dauphin. Marjo a pu le photographier malgré la brièveté de ses sorties de l’eau. Nous avons pensé que peut-être les pêcheurs larguent des surplus de pêche et que c’est la raison de l’acharnement du phoque à nous rattraper. Nous filions quand même 6 nœuds et le phoque accélérait !

Ces derniers jours, nous avons pu nous approcher de glaciers qui vêlaient des pans de glace que l’on retrouvait flottant à la dérive. Pour l’un d’eux, le soleil était présent et, en nous en approchant, nous avons pu admirer le cœur du glacier d’un bleu profond.  Il en sortait une cascade de glace fondue. Des growlers parsemaient l’étendue d’eau laiteuse qui caractérise l’eau douce de fonte. Elle conserve cette couleur jusqu’à une grande distance du glacier. Tout un univers très spécial qui nous a renvoyé à nos cours de géographie où on apprenait de nouveaux termes spécifiques aux glaciers comme moraines et d’autres que j’ai oubliés. Sans internet, c’est plus difficile de paraître intelligent ! J’ai quand même retenu que les glaciers « vêlent » les icebergs. A vérifier au cas où j’aurais rêvé ce mot…

Naviguer dans des eaux parsemées de growlers est stressant car si les plus gros sont visibles sur le radar, les plus petits, plus discrets n’en constituent pas moins un risque d’endommager notre coque en polyester. Donc, c’est avec une grande vigilance que nous avons slalomé parmi eux. Nous avons également remarqué combien le mélange d’eau douce et salée constitue un obstacle aux ultrasons du sondeur qui indique quelques mètres de profondeur alors qu’il y a parfois plus d’une centaine de mètres d’eau sous notre quille ! C’est déconcertant et Marjo, derrière la barre, n’aime pas trop ça…

Au fur et à mesure que nous grimpons en latitude (nous sommes arrivés aujourd’hui à 50°12.961’S), la végétation change. Elle se fait un peu plus clairsemée et les arbres de bonnes tailles font place à des arbres de moyenne taille, voire des arbustes. Les collines sont toujours incroyablement vertes mais se dépouillent en altitude. Et ici, c’est le règne des glaciers. Là où la roche est nue, elle témoigne par la manière dont elle est polie, de l’antique présence érosive d’une calotte glacière aujourd’hui fondue. Des pans de falaise sont ainsi comme des toiles abstraites brossées à grands coups de pinceaux. C’est magnifique !

Nous entrons donc dans les cinquantièmes que l’on dit hurlants a contrario des quarantièmes rugissants. Jusqu’à présent, il n’est pas question de vents méritant de tels adjectifs (si ce n’est pendant notre traversée). Gageons qu’Eole continuera à nous épargner pour la suite. Pas besoin de hurler ni de rugir. Le vent, tant qu’il souffle suffisamment pour nous propulser à l’œil, nous suffit largement !

Pour conclure, j’ajouterai qu’ici, au milieu de nulle part, où les journées se succèdent en passant, de caletta en caletta, j’en perds complétement la notion du temps. Oublier le temps qui passe semble être un bonus que l’environnement époustouflant que nous traversons offre à mes yeux émerveillés

 

Caletta Brecknock. 7ième nuit à venir. Il est 17 :41 (heure locale) et nous sommes le mardi 13 avril 2021.

Hier, nous n’avons pas dormi avant 3 heures du matin. Une nuit noire, sans lune, harcelée par les bourrasques et la pluie. Jusqu’à présent, nous faisions les fiers, croyant avoir trouvé le trou dans lequel le vent ne nous trouverait pas. Que nenni ! Eole ne l’entendait pas de cette façon. Petit à petit à partir de la fin d’après-midi, le vent est monté en puissance surtout dans les surventes. Fort étonnamment, notre éolienne qui peine à recharger nos batteries et tourne au ralenti en rentrant péniblement un ampère, était subitement stimulée et chargeait d’un coup presque 25 ampères. Je suppose qu’elle s’est demandé ce qui lui arrivait ! Je sors dans le cockpit pour me rendre compte de la situation. J’éclaire les lignes d’amarrage. Pour rappel, nous en avons installé cinq (3 à bâbord du côté au vent 2 à tribord. Notre proue est maintenue dans l’axe de la caletta par notre ancre enfouie dans huit mètres de fond de bonne tenue et 60 mètres de chaîne bien tendue sur le fond). On peut dire qu’on s’est bien préparés à ramasser ce coup de chien qui, en s’éternisant, semble s’installer de plus en plus sévèrement. Hier soir donc, les rafales se faisant de plus en plus agressives et après avoir inspecté l’amarrage, je suis rentré à l’abri du carré et ai commencé avec Marjo la longue attente. Tout lisant, chacun dans notre coin, nous relevions simultanément le regard et, perdu dans le vide de nos pensées, nous nous mettions à l’affût du moindre bruit suspect. Avec les mouvements de roulis et de tangages générés par les bourrasques, notre anxiété grimpait en même temps que le vent forcissait. Certes, ce n’était pas notre première nuit aussi chahutée. Nous en avons connu bien d’autres au mouillage ou en marinas mais celle-ci était une première, ainsi amarrés de 5 côtés. Les sensations sont bien différentes et il nous a fallu nous y accoutumer. Vers 22h30, nous nous sommes mis au lit dans l’espoir que demain est un autre jour et basta. Pas si facile ! La nuit fut bien agitée et nous vit nous tourner et nous retourner dans l’espoir d’accueillir ce sommeil salvateur. L’attente se prolongea ainsi jusqu’à environ 3 heures où, Eole et ses williwaws ont pris leurs quartiers et nous laissèrent enfin dormir. Réveil à 9 heures avec le jour qui se pointait déjà depuis un bon moment. Petit déjeuner. Prise de météo qui ne s’améliore pas et nous promet des vents très, très forts dans l’axe de la caletta. Sans même s’être concertés, Marjo et moi décidâmes qu’une sixième ligne, si elle n’était pas vraiment indispensable, nous rassurerait. C’est ainsi qu’entre deux grains qui, aujourd’hui, se sont rapprochés de plus en plus, avec l’aide de Marjo, je suis allé porter une sixième amarre vers l’avant. La surface de la caletta avait perdu son déguisement de lac au profit d’un bon petit clapot que j’ai bien eu de la peine à remonter à la rame et contre le vent ! Revenus à bord, annexe dûment amarrée, nous sommes rentrés nous réchauffer dans notre accueillant carré, contents du travail accompli. J’avais les mains endormies par le froid me rappelant, les mains se réveillant, la sensation désagréable que nous percevions après nous être livrés à ces batailles de boules de neige qui ont fait la joie de nos jeunes hivers.

Ce soir, alors que j’écris ces lignes et fort de l’expérience de la nuit passée et de nos dispositions supplémentaires, nous pourrons peut-être nous endormir plus tranquillement… 

Caletta Eugenio. Samedi 24 avril ;  18h32 (heure locale)

Déjà 10 jours durant lesquels je n’ai pris le clavier que pour les échanges de courriels et il y en a eu beaucoup. Amis et famille qui, par empathie, ont compris combien nous étions isolés, se sont faits omniprésents, nous donnant des nouvelles de la santé des uns et des autres, de notre Belgique, du temps qu’il y fait, des aléas de la pandémie, des progrès de notre petite fille Ava qui a décidé de se mettre à marcher pour elle aussi partir à la découverte du monde ; bref de ces petites choses de la vie qui, lues si loin du Pays, nous réchauffent le cœur. Au propre comme au figuré car, en Terre-de-Feu, il y fait froid et notre petit chauffage – qui nous a fait un petit caprice faute de ne pas l’avoir entretenu (!) – nous vient bien à point pour agrémenter nos soirées de lecture et d’écriture. 10 jours depuis la Caletta Breknock pour nous rapprocher de Puerto Williams qui n’est plus qu’à quelques milles et qui mettra un terme à notre pérégrination dans les canaux. 10 jours au cours desquels nous avons eu une météo propice à la mise en scène des glaciers les plus beaux jamais observés et au pied desquels nous avons navigué soit à bord de l’Otter soit, l’Otter laissé au mouillage, à bord de l’annexe. Slalomant entre les « growlers » de tailles parfois considérables sans pour autant mériter le nom d’icebergs, nous les avons vus de vraiment très près ! Quitter notre voilier pour partir à la découverte d’un glacier est déjà une aventure en soit car l’idée de la panne de moteur reste omniprésente. Néanoins, impossible de résister à la tentation de l’approche pour assiste, au vêlage du glacier. Quel spectacle ! Avec le ciel bleu et le soleil comme cerise sur le gâteau, Marjo ne savait plus où donner de l’objectif et moi, j’exultais n’en revenant pas de ce que je voyais. Cette nature impressionne vraiment tant par sa beauté que par son isolement. Etait-ce le froid qui me faisait pleurer ou simplement l’émotion de l’instant ? Peut-être un peu les deux tant je me répète souvent combien Marjo et moi avons la chance de vivre ces inoubliables instants.

 En dehors de ces détours vers les glaciers, nous avons rencontré beaucoup d’oiseaux de mer différents dont un grand nombre sont endémiques. Ce matin, par exemple, alors que nous remontions l’ancre, ce sont mille oiseaux qui, posés sur l’eau calme de la caletta et dérangés par le bruit de notre chaîne grinçant sur le davier, ont pris simultanément leur envol, rompant le silence ambiant dans un nuage d’éclaboussures magnifié par le soleil finissant de se lever !

Plus loin, ce fut une incroyable rencontre avec les lions de mer que nous croisons souvent en navigation alors qu’ils semblent se prélasser dans l’onde comme des bienheureux. C’était sur le chemin du seno Pia, au pied d’une falaise bordant le canal. Plusieurs familles de lions de mer batifolaient sur les contreforts de la côte suffisamment accore pour que l’Otter puisse s’en approcher à une petite dizaine de mètres (On entendait leurs rugissements de très loin !). A vue de nez, il devait y en avoir une centaine, mâles, femelles et petits, pour moitié dans l’eau, l’autre moitié se prélassant au soleil. Les gros mâles sont vraiment impressionnants. Une bien belle rencontre !

La semaine passée, ma frustration fut grande quand nous aperçûmes au loin une bande d’orques dont un grand mâle caractérisé par cette majestueuse nageoire dorsale dressée vers le ciel. Trop loin pour vraiment les observer. Gageons que bientôt, nous pourrons en croiser d’autres !

Nous approchons donc de la fin de la deuxième partie de notre longue route qui nous a vus traverser la Patagonie et la Terre-de-Feu en 9 semaines d’inoubliables découvertes au cours desquelles nous n’avons croisé que deux voiliers et une petite dizaine de bateaux de pêche locaux. Avec beaucoup de chance, nous avons pu réaliser cette descente vers le grand sud malgré les restrictions ce la saga covid. Merci la vie de nous avoir laissés passer et ce, sans pépins majeurs.

Lundi, Puerto Williams : nous devrons y rencontrer les autorités pour les formalités de sortie et espérons pouvoir y refaire l’avitaillement. On verra bien. L’aventure continue et, qui sait si la météo ne nous invitera pas à devenir cap-horniers avant de visiter Ste Hélène ? Seul l’avenir nous le dira. 

Puerto Williams. Le 2 mai 2021 ; 16h 35 (heure locale)

 Demain, il y aura une semaine que nous sommes arrivés à Puerto Williams, petite communauté portuaire où le temps du bien vivre paraît rendre tous les habitants (du moins tous ceux rencontrés) tellement gentils et serviables. Toutes nos sorties (avec masque mais presque tous les habitants sont vaccinés) se sont faites à pied. Le village n’est pas loin de la marina mais suffisamment pour rappeler à mes pauvres pieds ayant perdu l’habitude de la marche que les kms à pied, non seulement ça use mais aussi ça frotte dans les chaussures… ce qui m’a valu de fort belles ampoules me contraignant à l’immobilité !

Fort heureusement, un navigateur chilien possédant une voiture nous en a fait bénéficier à plusieurs reprises, nous faisant découvrir, hier, une bien bonne adresse. Marjo y a déniché, entre autres, un pêcheur qui, pour quelques pessos, lui a remis le produit de sa pêche du jour : des araignées de mer (centollon) dont la finesse dépasse de loin celle des meilleures langoustes. On s’en est délectés après en avoir fait profiter nos voisins de pontons. Le reste a été décortiqué pour congélation. Ce midi, nous en avons fait notre dîner ce qui nous a bien divertis de l’ordinaire pourtant déjà tellement varié grâce à l’ingéniosité culinaire de la cambusière. Un grand moment de gastronomie au naturel (produit frais sans nécessité d’accompagnement et on a tout mangé !).

 Ici, la marina porte le nom du Micalvi, vieux cargo échoué pour en faire un ponton auquel sont amarrés sur plusieurs rangées de nombreux voiliers. Nous sommes en cinquième position ce qui nous éloigne du Micavi de plusieurs dizaines de mètres. De longues amarres maintiennent l’ensemble en place même quand le vent souffle fort ce qui n’est arrivé qu’une seule fois depuis notre arrivée. Les installations sont vétustes bien que propres et bien entretenues. Du personnel de l’Armada (propriétaire du site) s’active en ce moment, profitant de la pause covid pour des travaux de rénovations (peintures, réparations d’escaliers d’accès pourrissant, remise en ordre du yacht-club,…). Pas trop de chance pour nous car ce yacht-club le plus austral du monde et aussi mythique que le Peter’s port Café  de Horta (Açores) ne nous est pas accessible pour l’instant. Il paraît que lundi, travaux terminés, nous pourrons y avoir accès mais sans pouvoir consommer car le bar restera fermé. Au moins pourrons-nous en photographier la belle décoration faite de tous les pavillons et souvenirs de passage des équipages ayant fait la fête ici après ou avant de longues traversées. Dommage ! Une occasion de plus de se dire qu’on a, compte tenu des circonstances, au moins eu la chance d’arriver jusqu’ici et d’y être accueillis avec chaleur et gentillesse. Décidément, on en aura eu beaucoup, des occasions de se dire qu’on ne peut pas tout avoir !...

 

Mercredi prochain, nous quitterons Puerto Williams en direction du sud afin de rallier un bon abri où nous attendrons le bon moment pour metttre le cap sur Ste Hélène en laissant le « Rocher » (nom mythique de l’île de Horn) par notre travers bâbord. Nous le passerons dans le bon sens (du vent dominant) avec respect en saluant la mémoire de tous ces marins qui, du temps de la marine à voile, ont fait là-bas leur trou dans l’eau. En ce temps-là, les grands voiliers passaient le Horn sans prévisions météorologiques et parfois dans des conditions apocalyptiques qui les contraignaient, pour passer le cap, à tirer des bords carrés pendant des semaines. Les marins étaient sommairement équipés. Ils crevaient de froid et souffraient de l’humidité permanente qui régnait à bord. Beaucoup tombaient à la mer après une dernière glissade sur un agrès gelé. Cet endroit tant redouté, battu par la violence des vents d’ouest où océans Atlantique et Pacifique se rencontrent est devenu un vrai cimetière marin. Qui mieux que Victor Hugo a évoqué le nom de ces marins disparus ? L’occasion est trop belle d’ici en rappeler ses vers :

Oceano nox

Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis !
Combien ont disparu, dure et triste fortune !
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l'aveugle océan à jamais enfouis !

Combien de patrons morts avec leurs équipages !
L'ouragan de leur vie a pris toutes les pages
Et d'un souffle il a tout dispersé sur les flots !
Nul ne saura leur fin dans l'abîme plongée.
Chaque vague en passant d'un butin s'est chargée ;
L'une a saisi l'esquif, l'autre les matelots !

Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues !
Vous roulez à travers les sombres étendues,
Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus.
Oh ! que de vieux parents, qui n'avaient plus qu'un rêve,
Sont morts en attendant tous les jours sur la grève
Ceux qui ne sont pas revenus !

On s'entretient de vous parfois dans les veillées.
Maint joyeux cercle, assis sur des ancres rouillées,
Mêle encor quelque temps vos noms d'ombre couverts
Aux rires, aux refrains, aux récits d'aventures,
Aux baisers qu'on dérobe à vos belles futures,
Tandis que vous dormez dans les goémons verts !

On demande : - Où sont-ils ? sont-ils rois dans quelque île ?
Nous ont-ils délaissés pour un bord plus fertile ? -
Puis votre souvenir même est enseveli.
Le corps se perd dans l'eau, le nom dans la mémoire.
Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire,
Sur le sombre océan jette le sombre oubli.

Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue.
L'un n'a-t-il pas sa barque et l'autre sa charrue ?
Seules, durant ces nuits où l'orage est vainqueur,
Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre,
Parlent encor de vous en remuant la cendre
De leur foyer et de leur coeur !

Et quand la tombe enfin a fermé leur paupière,
Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre
Dans l'étroit cimetière où l'écho nous répond,
Pas même un saule vert qui s'effeuille à l'automne,
Pas même la chanson naïve et monotone
Que chante un mendiant à l'angle d'un vieux pont !

Où sont-ils, les marins sombrés dans les nuits noires ?
O flots, que vous savez de lugubres histoires !
Flots profonds redoutés des mères à genoux !
Vous vous les racontez en montant les marées,
Et c'est ce qui vous fait ces voix désespérées
Que vous avez le soir quand vous venez vers nous!

 

Cette lecture vaut minute de silence à la mémoire de tous ces marins disparus dont nous allons visiter la tombe. Nous passerons le cap sans gloire et avec l’humilité de ceux qui savent que l’exploit n’est plus aujourd’hui au rendez-vous. D’aucuns l’ont même passé en planche à voile, c’est dire si la navigation dans ces parages a bien changé. A notre petit niveau de navigateurs, nous prions Eole de bien vouloir nous laisser passer.

 

(à suivre…)

 

En route vers Ste Hélène, dimanche 9 mai 2021 ; 12 :17 (heure locale)

 

 (à suivre…)

 En route vers Ste Hélène, dimanche 9 mai 2021 ; 12 :17 (heure locale)

 L’Otter II, désormais cap-hornier, souhaite une joyeuse fête à toutes les mamans du monde…

Et oui, le cap Horn, le Rocher comme l’appellent certains, le Horn est derrière nous. La voie satellitaire a crépité au moment et après ce mythique passage dont nous rêvions depuis plus de dix ans. Le Rocher ne faisait pas vraiment partie du rêve. C’était plutôt la Terre-de-Feu et la Patagonie et, sans expérience des hautes latitudes, nos lectures et différentes recherches à propos de cette destination nous avaient déjà incités à remplacer tout notre gréement dormant. Dix ans plus tard, nous avons remis ça et pris le temps de tout vérifier et remplacer toutes les pièces d’accastillage qui auraient pu nous lâcher. Non que cela était nécessaire mais l’avoir fait nous a rassurés sur notre relative inconscience. Il n’était plus question de juste passer par le grand sud pour rejoindre la route des alizés mais de traverser le Pacifique dans sa plus longue distance sans escales entre la Nouvelle Zélande et la côte chilienne. Et nous l’avons réalisée avec l’aide de notre voilier dont on a, dans ces conditions réputées difficiles, redécouvert les exceptionnelles qualités marines. Les quarantièmes rugissants, non seulement rugissent mais ils ont des petits voisins qui hurlent et ne sont pas en reste pour impressionner le marin !

Si je repense à ces moments très forts vécus en début d’année, c’est pour partager le fait qu’entre cette traversée et le passage du Horn, il n’y a pas de comparaison possible. Seuls peut-être les vrais marins peuvent le comprendre. Les conditions de mer ne le souffrent pas. Hier, nous avons reçu tant de félicitations et d’encouragements pour ce passage alors que, dans le fond, ce fut une véritable promenade de santé ! Merci à toutes celles et ceux qui se sont manifestés poursuivant ainsi la perpétuation du mythe du Horn.

Hier, lorsque nous sommes passés dans ce cimetière marin, Marjo nous a choisi quelques requiems dont celui de Mozart qui m’émeut toujours. Dans le grand silence et alors que le vent s’était tu le temps de notre passage, nous avons réalisés que nous y étions vraiment arrivés, au bout du monde ! Ce souvenir restera à jamais gravé dans nos mémoires de marins.

Aujourd’hui, après avoir tenté de bien dormir deux nuits dessus, nous poursuivons notre route avec une météo qui semble jusqu’à présent nous ménager. Faisant mon difficile, je dirais qu’un peu plus de vent serait le bienvenu car l’Otter II est ainsi conçu pour être accroc aux jolies brises.  Et plutôt bonnes que jolies, dans le fond. On les attend pour allonger la foulée. Nous sommes à 200 milles des Malouines dans un Atlantique assez calme. Les albatros sont très nombreux autour de nous. Il y en a de plusieurs espèces dont certaines endémiques à la Terre-de-Feu dont nous nous éloignons. Nous passons sur un fond qui remonte des abysses à entre 80 et 40 mètres de profondeur ce qui attire une vie marine plus riche et, par conséquent, la présence d’oiseaux de mer plus nombreux. Des baleines aussi et peut-être aurons-nous la chance d’en apercevoir comme hier.

 

(à suivre…)

Quelque part au large de l’Argentine. Ce dimanche 23 mai. De 15 :43 à lundi 24 01 :00 (heure locale).

Aujourd’hui, il y a 18 jours que nous avons quitté la Terre-de-Feu et son fameux rocher. 18 jours de navigations difficiles qui ont été accompagnées d’aléas dont on aurait bien aimé se passer.

Une petite explication s’impose pour la compréhension de la suite des événements.

A bord, nous disposons d’une centrale de navigation GARMIN nouvellement installée par mes soins au Guatemala. Ce n’est donc pas du matériel qui date. Cette centrale comporte un lecteur de cartes qui est situé dans le cockpit en face de la console de barre. Elle nous permet, outre de visualiser notre position sur la carte, d’accéder au radar, sondeur, anémomètre,… La centrale est dotée d’une émission Wifi qui permet de créer un réseau auquel ont accès toutes les tablettes du bord. Au nombre de 3, une est dédiée au bateau et les deux autres à la capitaine et à moi-même. Quand ça fonctionne, c’est très pratique car toutes les données de navigation sont accessibles partout à bord. On peut donc accéder aux infos radar ou autres, par exemple depuis sa couchette ! Pratique pour éviter de devoir sortir dûment équipé pour les consulter.

Encore faut-il que ça marche !

Il y a quelques jours, alors que les conditions de mer et de vent devenaient vraiment très dures, pour une raison encore inconnue, le wifi a rendu son tablier. Notre spécialiste Garmin contacté en France, sans compter les horaires de bureau, nous guide dans toute une série de manipulations aux fins de retrouver la communication perdue mais malheureusement sans succès. Il ne nous restait qu’un «reset » complet. Sans penser trop aux conséquences mais avec le ferme espoir de retrouver le wifi, notre spécialiste nous communique la procédure et, je dois dire que ça me mettait la peur au ventre car je savais que je devrais reconfigurer pas mal de paramètres.

Et je l’ai fait !

Le mieux aurait été d’accepter la perte du confort du wifi car une fois le traceur relancé et les paramètres tels que langue, unités de mesure,… réintroduits dans la boîte, d’une part le wifi n’était toujours pas accessible et, d’autre part, alors que le vent montait en puissance, notre WINDPILOT n’arrivait plus à tenir le cap. Nous avons donc fait appel au pilote électronique qui, avant le bug du traceur,  fonctionnait parfaitement. Force fut de nous rendre compte qu’il était inutilisable et exigeait un nouvel étalonnage ! Je vous passe l’état de nervosité dans lequel nous étions quand la nouvelle est tombée… Et la mer qui se creusait. Et le vent qui hurlait du haut de ses 40 nœuds ! Et la nuit qui s’installait… Sans pilotage automatique (ni électronique, ni mécanique), nous barrions chacun à notre tour, accroché à la barre car le bateau était bien secoué.

L’Otter, fort heureusement, faisait de son mieux et ça, il le fait bien. A croire qu’il aime ça, danser sur la mer !

Le dépannage du pilote automatique, on pouvait oublier. Il nous fallait une mer calme pour le ré étalonner ! Il restait le windpilot que nous avions déjà démonté  3  ou 4 fois avec remplacement des patins en nylon garnissant l’embrayage mais sans succès : lorsque le bateau partait à la gîte sous la poussée du vent mais surtout de la mer, il perdait son cap et se mettait dangereusement en travers des vagues !

Marjo, cramponnée à la barre, me suggéra alors de la laisser barrer et redescendre dans le carré pour écrire un courriel à Peter Forthman, concepteur du windpilot que nous avions rencontré à Hambourg il y a des années pour l’achat du régulateur. Sans trop d’espoir mais en l’absence d’alternative, j’obtempérai. Nous décidâmes de barrer en alternance toutes les deux heures et je pris le premier quart pendant que Marjo allait nous préparer quelques tartines de sa composition. Au cœur de la crise, il nous fallait un petit réconfort ! Bien entendu ce fut un délice ! La nuit était noire et l’angoisse présente. L’océan ne décolérait pas (à l’heure où j’écris ces lignes, il ne s’est toujours pas calmé, le vent restant dans la plage 6, 7 beaufort pointes à 8).

Tout en s’activant dans la cambuse, Marjo, dans une poussée d’optimisme, relance l’iridium dans l’espoir d’une réponse de Peter Forthman. Et, bingo, malgré l’heure tardive  (4 heures de décalage), Peter avait envoyé une solution dont le génie m’a scotché. Comprendre et surtout assimiler le principe de fonctionnement d’un régulateur d’allure n’est pas évident mais à la lecture de la solution proposée, je reconnus le trait de génie (trop compliqué à expliquer ici). Je demandai à Marjo de reprendre la barre et je me mis au travail. Avec son aide, je pus à l’issue de mon bricolage, dire à Marjo : « Je crois que tu peux lâcher la barre ! ». Le WindPilot génialement shunté a repris du service et bosse depuis sans plus rechigner mis à part qu’il exige plus de doigté pour les réglages.

Il était 9 heures et c’est presque joyeusement que nous avons repris le rythme des quarts non sans avoir pris le temps d’envoyer à Peter le bon résultat de ses conseils. Le lendemain matin nous avons reçu un enthousiaste accusé de réception, rassuré d’apprendre notre problème résolu. Manifestement, Peter était allé dormir avec nos soucis. Une fois de plus, la solidarité des gens de mer est remarquable. C’est un constat régulièrement renouvelé. Ce serait tellement bien si elle se répandait sur terre, sur mer (on peut toujours faire mieux) et dans les airs pour rendre la vie de tous plus agréable.

Voilà, nous sommes le 24 et c’est mon anniversaire ! Merci Eole, merci Neptune… J’aurai certainement une pensée pour vous lorsque, l’an prochain, je fêterai mes 72 ans avec ma famille, bien au chaud, en sécurité et à l’abri des aléas météorologiques !

 (à suivre…)

 Vendredi 28 mai 2021. 18 :18 (heure locale). Quelque part au large de l’Uruguay.

La mer, espace de liberté ! Depuis une petite quinzaine de jours, l’Otter II et son équipage sont confrontés à une toute autre réalité. Mis à part deux petites journées et nuits plus clémentes, le vent n’a pas décoléré. Il poursuit inlassablement son travail de harcèlement, mettant nos nerfs à rude épreuve. Il ne décolle pas de la zone qu’il préfère pour lever une mer agressive dont les creux varient entre 4 et 7 mètres, celle des 6-7-8 Beaufort avec des rafales pas rares à 9 ! En Manche, Schevening radio annonce déjà un avis de tempête à 6 Beaufort. C’est dire si nous sommes actuellement fortement chahutés jusqu’à, aujourd’hui, être contraints de dîner à midi d’une boîte de sardines agrémentée du reste de pain rassis. Les deux pains hebdomadaires devront attendre des conditions moins dangereuses de cuisson pour être enfournés. Les aléas de la météo mettent notre moral à rude épreuve. Encaisser 40 nœuds de vent et plus dans les rafales alors que 15 nœuds étaient attendus, ce n’est pas le plus facile à vivre. Pour s’aider à laisser passer l’orage en faisant le gros dos, nous essayons de pratiquer la pensée positive comme constater par exemple que le bateau, lui, assure bien, que le matériel tient le coup et que ça devra bien se calmer un jour ! Je ne me suis jamais dit qu’une pareille tempête pouvait durer aussi longtemps et mon optimisme me disait que j’arriverais toujours à passer à côté. Que nenni, l’attente se fait de plus en plus impatiente. D’autan que le stress qui s’installe en même temps que la fatigue peut nous faire commettre des erreurs auxquelles nous n’avons absolument pas droit.

Je viens donc de découvrir que « la mer, espace de liberté » a son corollaire : elle peut devenir prison !  Et j’avoue que durant ces journées difficiles, je me suis senti comme piégé par mes rêves, incapables que je suis de m’en sortir. Je dois le poursuivre sans autre choix que de me dire que l’océan se fatiguera peut-être plus vite que nous et qu’une fois ces désagréments passés, notre bonne nature nous les fera vite oublier… N’empêche, la vie à bord de l’Otter II reste difficile, contraignante et ce sera un véritable soulagement lorsque l’embellie tant attendue nous permettra, avec le soleil retrouvé, de sécher nos plaies et bosses (beaucoup de bleus suite des erreurs d’équilibre durement sanctionnés), prendre une bonne douche (ce dont je rêve, même froide, même assis, même…),

Sécher toute l’humidité que ce mauvais temps a infiltré partout, bref respirer le bonheur d’avoir recouvré des conditions de navigation acceptables.  La route de retour est encore longue et j’ose espérer que le pire est (presque) derrière nous !

 (à suivre…)

 En route vers Ste Hélène. Lundi 31 mai à 23 :20 (heure locale)

 « La mer est bonne fille avec le marin » (proverbe breton).

Ce matin, malgré la contrainte des quarts – au cours desquels, depuis des jours, nous n’avons croisé qu’un seul cargo – nous nous sommes retrouvés dans le carré pour le déjeuner et de bonne humeur. La nuit avait été calme et le sommeil réparateur pour tous les deux ! C’est fou ce que dormir peut régénérer de l’énergie. Nous étions sous grand voile au bas ris et un demi yankee déroulé. Le vent était resté soutenu pendant toute la nuit mais nous avait épargné ses rafales. L’océan respirait encore bruyamment car il déferlait toujours mais rien à voir avec les jours précédents. Nous nous sommes regardés et avons pensé en cœur que la tempête était derrière nous. L’intérieur du carré, la cambuse, la couchette du navigateur, la table à carte, tout était sens dessus-dessous comme rescapés d’une énorme querelle de ménage ! Cela demandait une sérieuse reprise en main. Le soleil brillait et augurait d’une belle journée de navigation… et de rangement. Agacés par cette houle qui dévente et fait claquer la GV, nous l’avons affalée et rangée afin de tester le comportement de l’Otter sous yankee seul. Parfois, il aime travailler ainsi. Cela dépend surtout de la force du vent qui doit être optimale (pas trop fort, pas trop faible, ce qui était le cas ce matin et l’est toujours depuis : un petit 5 Beaufort tout sympa !). Ainsi tiré par sa voile d’avant, le voilier glisse sans trop rouler et nous a permis de ranger tout ce chaos engendré par la tempête. On a beau essayer de prévenir les catastrophes, quand l’océan se met à chahuter, le moindre objet non arrimé peut se transformer en projectile et se retrouver ainsi à des endroits improbables. C’est dire si, ce matin, nous avons eu du travail pour tout remettre en place. Pareil sur le pont où des covers (protections textiles des coffres et autre radeau de survie), menaçant d’être arrachés par le vent, ont dû être enlevés et précipités en catastrophe dans les coffres. Tous les cordages ont dû être rangés de nouveau pour que le bateau retrouve son aspect « prêt à en découdre ». 

Dirigé de main de maître par notre régulateur d’allure qui n’a pas décroché de toute la journée et poursuit actuellement son travail, l’Otter a bien marché et poursuit sa route dans la bonne direction cette fois.

Le bilan de ces difficiles journées est positif. Pas de matériel cassé si ce n’est une assiette ! Du matériel perdu dont le plus surprenant est notre perche IOR, littéralement éjectée de son emplacement et arrachée à la bouée de sauvetage miraculeusement restée accrochée au bateau. La perte la plus ennuyante est celle d’une des manivelles de winch dont la sortie de son étui reste encore un grand mystère. Il reste les dégâts à notre capote dont plusieurs points de fixation ont été arrachés. Quand je pense qu’il n’y a pas si longtemps, je disais – tout fier du bateau – que nous avions rarement de l’eau de mer dans le cockpit alors que, ces derniers jours il a été inondé à plusieurs reprises ! Quant au pont, il est comme un sou neuf : complètement lessivé !

Demain et les jours suivants, si ce ne sont pas encore des conditions optimales de navigation qui nous attendent, ce sera bien différent des jours passés que nous allons nous dépêcher d’oublier.

 (à suivre…)

 J31. En navigation vers Ste Hélène ce samedi 5 juin 2021 ; 17 :00 (heures locales)

Hier, nous avons mis à profit le peu de vent que nous recevions pour les bricolages en attente. Il y en avait plusieurs. Nous avons donc pris notre temps pour mettre tout cela derrière nous. Il faut dire que, lorsque le bateau bouchonne, l’inconfort pour les bricolages est réel et rend ceux-ci lents et compliqués. Toute la journée y est passée !

 Ce matin, le soleil s’est levé sur une journée qui s’annonçait très belle car l’océan s’était calmé pendant la nuit et le ciel était en train d’éteindre ses dernières étoiles (les plus lumineuses) sous la surveillance de la lune qui, très pâle, montait lentement dans le ciel. Elle s’était levée au début de mon dernier quart et pour mon plus grand plaisir tant elle est belle quand elle émerge de l’horizon (Ici – je pense l’avoir déjà fait remarquer - les quartiers ne se présentent pas comme chez nous ; ici la limite entre la partie éclairée et la partie dans l’ombre, est horizontale ce qui la fait ressembler à une coupe de champagne du plus bel effet. La journée s’annonçait bien. Une fois le bulletin météo consulté et les conseils de notre ami Geert relus, nous avons préparé le bateau à naviguer au près puis, emmenés par un vent d’ENE de 10-15 nœuds, nous avons remis en route, tout dessus. Le vent forcissant quelque peu, nous avons pris le premier ris et adapté le Yankee après quoi, nous avons confié la barre à notre WindPilot qui nous a menés de main de maître durant toute la journée, l’Otter flirtant régulièrement avec les 7 nœuds. Sieste matinale pour moi et sieste l’après-midi pour Marjo. Le reste du temps, alors que Marjo préparait le repas de midi et rédigeait son courriel quotidien, je suis resté dans le cockpit à l’ombre de la capote m’occupant l’esprit en lisant (fort beau roman de François GARCIA : Journal de marché), voire en admirant la respiration océane ainsi que les nombreux puffins qui nous accompagnent. Cette respiration est telle que le vent forcit et mollit au rythme des montées et descentes dans les creux de cette longue houle (très longue et très creuse) sans vagues sur laquelle l’Otter trace son sillage. Bref, une magnifique journée de navigation qui nous a permis de faire un peu la paix avec l’océan que, je dois bien l’avouer, je boudais un peu…

La nuit sera belle et s’annonce reposante à bord de l’Otter II.

 (à suivre…)

 J 41. Mardi 15 juin 2021. En navigation vers Sainte Hélène. J’écris pendant mon quart de 23 heures à 2 heures. La lune est magnifique dans son premier quartier ascendant.

Après le passage du tropique du Capricorne, nous voilà enfin faisant cap vers ce qui nous apparaît de plus en plus comme l’inaccessible terre où Napoléon vécut ses derniers jours de captivité. On comprend mieux le choix de sa prison ! Du bout de nulle part, il n’y avait pas grand risque d’évasion ! Ste Hélène ce n’est pas l’île d’Elbe. C’est juste un peu plus éloigné de la terre de France…

Hier, nous avons enfin pu profiter d’une belle journée de navigation. La première depuis plus d’un mois durant laquelle le capot de descente a pu rester ouvert. T° 25°. Soleil et ciel bleu. Un petit 5 Beaufort pour sécher nos voiles (copieusement rincées hier et avant-hier par une petite pluie ininterrompue ou presque) toutes déployées pour la circonstance. La journée fut utilisée pour effectuer les remises en ordre du bateau et surtout ouvrir tout en grand et sécher tout ce qui s’était chargé de l’humidité ambiante qui n’a pas décroché de 100% depuis le Horn. Les équipements ayant été mouillés par l’eau de mer sèchent très lentement et il a bien fallu toute la journée pour voir notre hygromètre retrouver la zone de confort de 60-70%. Je me suis attaqué à la réparation de notre capote qui a beaucoup trinqué pendant la tempête. Cela m’a pris deux bonnes heures. Je me suis alors préoccupé de trouver dans mes réserves d’écrou et boulons deux vis susceptibles de remplacer les vis papillons du WINDPILOT qui, probablement usées par l’usage intempestif qu’on en a fait, tournaient à vide et ne permettaient plus de bloquer l’embrayage. Fort heureusement, j’en ai trouvé deux que j’ai adaptées pour qu’elles puissent donner le change. Pendant ce temps, Marjo est restée à l’intérieur à cuisiner, ranger et nettoyer. Il y avait du boulot… Bref, journée agréable et très productive. Espérons qu’il y en aura d’autres car si les conditions de mer très dures avaient continué leur travail de sape au moral en même temps qu’à notre énergie, nous aurions vraiment dû nous accrocher, ce voyage s’apparentant plus au convoyage qu’à la plaisance, ce dernier statut étant oublié depuis belle lurette !

Hier donc, la distance qui nous sépare encore de Ste Hélène est passée à un nombre de milles à 3 chiffres. A l’heure où j’écris, il nous reste encore 980 nautiques à parcourir ce qui représente habituellement une navigation d’approximativement une semaine. Depuis quelques jours du Horn, nous n’avons aperçu que deux navires et, dans les premiers jours. Un cargo et un pêcheur. Depuis, l’horizon est resté vide. C’est dire comme c’est frustrant de faire les Quarts toutes les nuits afin de veiller au grain d’une éventuelle rencontre. Mais c’est notre choix et nous l’assumons.

 

Il sera vraiment temps d’arriver et d’enfin pouvoir, au calme du mouillage, investiguer notre réservoir d’eau avant dont l’eau est inaccessible. Les mouvements brutaux du bateau secoué par le gros temps ont eu raison de la jauge qui s’est cassée et est tombée dans le fond de la cuve en en bouchant la sortie vers la pompe qui n’arrive plus à en distribuer l’eau. Ouvrir la trappe d’accès au réservoir quand le bateau bouchonne est trop risqué de le voir déborder dans la cabine avant, risque que je n’ai pas voulu prendre. Fort heureusement, une bonne réserve de bidons d’eau de 10 litres avait été prévue et c’est donc dans cette réserve que nous piochons actuellement au fur et à mesure des besoins. Ce n’est guère pratique mais bon, s’il n’y avait que ça !...

 

…/…

 

Ce mardi 15 juin au coucher du soleil.

 Ce matin, après un cafouillage sans nom qui nous a fait sortir le spi, le changer de bord car le vent refusait, l’avoir envoyé et constaté que le vent nous invitait à le remettre dans son sac, nous avons lancé le moteur et navigué sans vent jusqu’au dîner. Notre ami Geert nous suggérant de faire du sud pour trouver le vent qui nous accompagnera sur Ste Hélène, et ce vent revenant un peu (2-3 Beaufort), nous remîmes à la voile et avons profité d’une après-midi de navigation parfaite sans toutefois s’accrocher aux 6-7 nœuds de vitesse qui est celle qui nous réjouit. Mais bon, on s’est contenté des 5-6 nœuds et avons apprécié la douceur de vivre en voilier sous les tropiques. L’océan, bleu intense, et le ciel parsemés de petits nuages de beau temps nous ont accompagnés tout l’après-midi. Alors que l’océan se prépare pour la nuit, le soleil descendant rapidement sur l’horizon, un puffin nous accompagne, découpant sur le ciel, sa jolie silhouette en croix. Vous aurez compris que, aujourd’hui, « Jean qui pleure et Jean qui rit » a donné toute sa mesure et, même si cela rallonge un peu la route, des journées comme celle-ci, on les prend !

 (à suivre…)

Vendredi 25 juin 2021. Ste Helena island on a buoy. 09h30 (local time)

Arrivés hier avec le coucher du soleil qui fut à la hauteur de la joie que nous avions de retrouver la sécurité d’un lien avec la terre. Un lien solide, prévu pour des navires de plus de 20 tonnes. Nous étions, après tant de journées d’incertitude, rassurés quant au lendemain car durant les 49 journées qui ont précédé notre atterrissage, bien peu de journées ont été exemptes de doutes et d’incertitudes concernant la météo et le matériel. Il n’est pas utile d’énumérer ici toutes les occasions qui m’ont amené à recourir à ma boîte à outils mais je ne mens pas en disant que ce fut quasi quotidiennement.

Aujourd’hui, au calme du mouillage, je puis envisager de réaliser toutes les réparations qui furent impossibles, le bateau tanguant et roulant au rythme de la navigation. Je m’en vais donc d’abord m’attaquer à éliminer la cause de l’impossibilité d’accès à l’eau de notre réservoir avant (le plus grand). Lors des tempêtes, l’eau contenue dans le réservoir a été tellement bousculée que la jauge a été arrachée et est tombée dans le fond de la cuve. Ça, je l’avais déjà constaté en même temps que de me rendre compte combien j’avais pris de risques en ouvrant la chambre de visite du réservoir, la gîte amenant le niveau de l’eau proche du débordement. Je n’ose imaginer ce qu’il se serait passer si un plus fort coup de gîte l’avait fait déborder ! Pas de panique. J’ai bien vite refermé et aujourd’hui, je suis à pied d’œuvre pour trouver une solution…

Ce matin donc, nous nous sommes régalés au petit déjeuner, de notre dernier œuf ! Et quand on sait que c’est le dernier, c’est encore meilleur. Nous nous sommes ainsi retrouvés en tête-à-tête, assis dans le carré dans le silence retrouvé du mouillage et sans gîte après plusieurs semaines de navigation au près serré qui nous ont transformés en dahus. Je n’en revenais pas de pouvoir poser couverts et tasses sans les assurer et j’ai fait remarquer à Marjo que c’était d’autant plus étonnant que mon cerveau indiquait que le bateau penchait sur tribord. Marjo constata la même chose. Je ne devenais donc pas fou ! Le bateau était pourtant parfaitement horizontal. C’était nos cerveaux qui s’étaient adaptés à la gîte ! Incroyable mais vrai. C’est exceptionnel la capacité d’adaptabilité de notre organisme à l’environnement.

Je n’ai pas encore pu me connecter sur internet et suis donc encore ignorant des réactions à la série de news que j’y ai postées par l’intermédiaire de ma fille Manon. Je sais que beaucoup suivent notre odyssée et nous encouragent. Rien que le savoir nous a bien aidé à garder le moral. Je ne sais si la qualité de l’internet à Ste Hélène nous permettra de télécharger courriel en retard et commentaires sur « la longue route » (Lorsque j’ai ainsi intitulé cette page fb, je ne réalisais pas encore combien cette route allait être longue !).

Je me rends compte que le plus difficile est derrière nous. Il faudra encore se méfier des mouvements d’humeur du golfe de Gascogne si redouté des coureurs au large dont plus d’un s’y sont retrouvés au tapis mais bon, ce sera la fin de l’été. Ça devrait aller.

Ici, la température est vraiment agréable tant le jour que la nuit. Les nuits sont belles, la lune sort magnifiquement la nuit des ténèbres. Elle est presque pleine et prête à devenir gibbeuse décroissante. Les journées sont ensoleillées et nous prenons de belles couleurs. Le soleil donne. Je ne sais si, comme dans la chanson de Voulzy, il nous rend intelligents. Le moins que je puisse dire est qu’il nous réchauffe le corps et le cœur. Il était grand temps pour entretenir le moral et nous relancer vers l’envie de reprendre la mer pour rentrer. La douceur du mouillage et la gentillesse des gens fera le reste, j’en suis certain.

Ce matin, les autorités sanitaires sont venues nous accueillir et nous faire passer le test PCR. Nous avons été invités à effectuer le test nous-même. « Introduisez la tige dans une narine et pousser le plus loin possible jusqu’à fermer les yeux ». Marjo fit le test comme une pro ! Quant à moi, j’ai provoqué les rires de l’infirmière car à peine le bâtonnet introduit, je fermais déjà les yeux !!! Elle m’a demandé d’insister… ;-). Les responsables de la santé étaient équipés covid des pieds à la tête, masque et lunettes comprises. A priori, ça ne rigolait pas. C’est normal car les 6000 habitants de l’île dépendent du sérieux de leurs protecteurs.

Demain, si les tests s’avèrent négatifs (ce qui est une évidence), nous pourrons débarquer et partir à la découverte de l’île et de ce que nous pourrons y trouver pour refaire l’avitaillement du bord. Marjo et moi nous en réjouissons mais apprécions tant la quiétude retrouvée que nous ne nous en réjouissons même pas. Chaque jour nous apporte réconfort et occasion d’apprécier le moment présent. Dire que nous avons changé est un euphémisme. Et si nos cerveaux se sont adaptés à la gîte, notre façon d’aborder le quotidien s’est encore plus rapproché du carpe diem qui reste la seule vraie façon de prendre le meilleur dans chaque journée qui se présente à nous. Quant à moi, comme les indiens des Bahamas soufflaient dans leurs conques pour remercier le soleil de la journée qui s’achevait et l’inviter à ne pas oublier de revenir le lendemain matin, je suis toujours dans l’émotion méditative que le soleil plonge dans l’horizon ou qu’il en émerge…

 (à suivre…)

 St Helena, ce mercredi 30 juin 2021. 19 :47 (local time)

 Voilà ce soir six jours que nous avons atterri. Six jours de respiration et de récupération d’un rythme jour/nuit loin des quarts de veille. Il a bien fallu ça ! Le sommeil est complétement décalé et je réalise ici combien les personnes qui ont un travail posté vivent des conditions dont la pénibilité est augmentée par les pauses. Il faut à l’organisme tout un temps d’adaptation durant lequel la fatigue s’installe et doit être intelligemment gérée…

La petite semaine qui vient de passer comme un éclair nous a permis de découvrir les qualités et les défauts de cette île de Ste Hélène, escale peu fréquentée s’il en est (l’an passé, 180 voiliers hors covid sont venus mouiller dans la rade et seulement 2 - dont l’Otter cette année - sont venus depuis le Horn !). Tout d’abord, les plus : Le climat est vraiment agréable. Peu de pluie, pas trop de vent, les t° de jours comme de nuit sont idéales. On n’a pas froid ni ne transpirons. C’est optimal. A croire que cela se retrouve dans la gentillesse des gens qui n’attendent que le moment de pouvoir nous rendre service pour se précipiter ! Ils sont formidables. Tout le monde dit bonjour à tout le monde et sans que cela soit perçu comme une corvée. La petite ville comprend deux rues, l’une montante, l’autre descendante. Il n’y a pas de numéro aux maisons. Pas de débarquement en solo. Ici, il y a un service de watertaxi qui est à la disposition des usagers du port. Une des journées passées nous en a montré la nécessité car quand la houle rentre, les débarquements sont loin d’être évidents. Il faut attendre le bon moment et sauter sur le quai ! Il est rare d’y arriver les pieds secs…

Pour ce qui est de la pandémie, ici, c’est le paradis. Une fois le test PCR confirmé négatif, on a pu débarquer et se balader sans masque. C’est formidable. Les gens ici ne savent pas leur bonheur d’être aussi protégés ! Quant à nous, vous comprendrez certainement que nous apprécions ! Dimanche prochain, on a un rendez-vous plongée avec le club local. On devait déjà plonger aujourd’hui mais le moniteur s’étant froissé des côtes, cela a été reporté. Ce n’est donc que partie remise et nous donne le temps de nous en réjouir d’autant qu’il paraît que les fonds sont d’une incroyable richesse tant la vie y est foisonnante.

Ensuite, les moins ! Il y en a bien-sûr, le contraire serait anormal. Et bien ici, le plus contrariant c’est la connexion internet. D’abord elle est hors de prix et limitée dans le temps. Après deux fois une heure de connexion, j’ai à peine eu le temps d’ouvrir et trier tous mes E-mails, sans même songer à essayer d’y répondre ! Quant à fb, j’ai pu juste constater que la page de la longue route était bien fréquentée et y ai trouvé de nombreux messages de sympathie, d’encouragement, tous très gentils. Je n’ai pas encore pu y répondre ni même accuser réception à tous. Ici déjà - car je crois qu’il me sera impossible de réagir au coup par coup des commentaires reçus - je remercie du fond du cœur toutes celles et ceux qui sont intervenus. Merci pour vos pouces bleus, cœurs et autres émoticônes ainsi que pour vos commentaires. Je ne sais combien de temps ceux-ci seront accessibles. J’espère qu’ils le resteront jusqu’à ce que j’aie pu en prendre connaissance. En tout cas, un grand merci à tous !

Ensuite, car ce n’est pas tout, il y a la conséquence de la grippe aviaire en Afrique du sud et la pénurie locale de graines pour les poules qui nous privent d’œufs frais. Les pondeuses ont déclaré : pas de graines, pas d’œufs ! Ça, c’est galère. On se demandait comment nous allions pouvoir ré-achalander les provisions du bord pour la suite du voyage et Marjo quémandait des œufs dans tous les commerces susceptibles d’en vendre. Sans succès jusqu’à cet après-midi où elle a rencontré le cuisinier du Consulate hotel qui, sous le charme je suppose ;-), lui a promis pour demain un plateau de 30 !!! Demain matin donc, nous ferons d’une pierre deux coups. J’ai rendez-vous chez le coiffeur pour faire disparaître ma tignasse dont la dernière coupe date du mois de décembre passé en Nouvelle Zélande ! C’est dire qu’il est temps… (photo promise avant/après ;-). On en profitera pour vite se procurer les œufs. Un « tien » vaut mieux que deux « tu l’auras » !

On a pensé pouvoir se faire vacciner ici mais le délai entre les deux injections nous ferait attendre trop longtemps pour pouvoir repartir. Nous arriverons donc vraisemblablement en France très vulnérables et il nous faudra faire gaffe jusqu’à trouver un vaccin. On verra bien… L’aventure continue !

Pour l’instant, on profite bien du charme indescriptible de cette île attachante en bien des points. Les jours prochains ne seront, j’en suis certain, qu’émaillés d’agréables moments qui vont nous faire regretter de devoir la quitter.

 (à suivre…)

 Sainte Hélène, le 7 juillet 2021 ; 20 :13 (heure locale)

 A la veille de larguer une nouvelle fois les amarres – peut-être la dernière de cette longue route depuis la Nouvelle Zélande si nous ne nous arrêtons pas aux Açores – je réalise que demain, il y aura deux semaines que nous sommes arrivés à St James Bay

Voilà donc deux semaines que nous vivons ici comme si la pandémie n’existait pas. En connaissance de cause, nous avons apprécié ce privilège que j’en suis certain vous devez nous envier !

Pendant ces deux semaines, outres les travaux incontournables au bateau avant de reprendre la mer (et ils furent nombreux), nous nous sommes noyés dans la bienveillance d’une population incroyablement attachante. Nous avons visité la « prison » de Napoléon, découvert la maison du gouverneur, ses potagers et ses tortues dont Jonathan (189 ans !) est l’indolent locataire. Nous avons sillonné une partie de l’île en compagnie d’un taximan tellement sympa qu’il s’occupa de nous acheter des légumes chez un parent cultivateur alors que nous visitions Longwood house (hors covid, une trentaine de touristes envahissaient quotidiennement cette maison-musée. Nous, nous avons eu le privilège – encore un – d’être les seuls visiteurs)..

Entre les coups, beaucoup de temps a dû être consacré à la recherche de quoi refaire l’avitaillement de la cambuse. Ici, les légumes sont produits localement et pas toujours disponibles. Il faut être au bon endroit, au bon moment pour ne pas rentrer bredouille. Heureusement que Marjo s’est rapidement fait des copines qui la renseignaient justement sur les opportunités d’achats. Hier, nous avons grimpé les 669 marches de la « Jacob’s ladder ». Cet escalier fut dans le temps encadré d’un téléphérique permettant de monter et descendre des marchandises à destination du fort implanté en haut de la falaise. Des ânes servaient de moteur pour actionner cet ingénieux système et c’est aujourd’hui, lors de notre visite du musée (d’une incroyable richesse) que nous découvrîmes une maquette du dispositif dont il ne reste que l’escalier que nous avions escaladé hier en 33 minutes alors que le record, détenu par un écossais, est de 5 minutes et quelques secondes. De quoi réfléchir à propos de l’expression « être et avoir été » !

Aujourd’hui donc, nous avons continué de remplir nos réservoirs d’eau. Bien des trajets ont été nécessaires avec les watertaxis dont les capitaines se sont coupés en quatre pour nous aider à transborder les lourds bidons. Avant-hier, ce fut une barque spécialement aménagée à bord de laquelle deux sympatiques marins sont venus nous délivrer notre diesel. Pratique, efficace. Même pas besoin de se déplacer !

Nous voilà donc ré-achalandés, les pleins eau et fuel effectués, les réparations et entretiens nécessaires à garantir sans ennuis techniques les quelques 5000 miles qui nous attendent encore pour atteindre les côtes bretonnes. Nous sommes prêts. Le bateau est prêt. Il n’y a plus qu’à larguer les amarres et regarder à regrets s’éloigner cette île attachante qui nous laissera des souvenirs de découvertes et de rencontres exceptionnelles. L’horizon va, demain, l’engloutir pour nous replacer une nouvelle fois en son centre jusqu’à ce qu’une nouvelle terre en émerge une nouvelle fois !

 (à suivre…)

 Lundi 19 juillet 2021 ; N03°08’54 W021°30’26 : Pot-au-noir ou horse latitude pour les anglais ; 23 :20 (heure locale)

Passé l’équateur, nous entrons dans la zone de convergence intertropicale (N8°<ZCIT<N3°). La t° de l’eau est de 26° et de l’air 30°. Le vent reste régulier depuis plusieurs jours, entre 4 et 5 Beaufort de SE et un courant subtropical entre 1 et 2 nœuds augmente nos moyennes journalières (hier : 157 MN !). Le soleil est omniprésent et implacable. Moi qui reste le plus souvent à l’ombre, j’ai fait les frais d’un court passage au soleil pour intervention sur l’enrouleur de yankee. Cela a suffi pour bien rosir mon épiderme peu habitué à subir les UV tropicaux. Il est vrai que, compte tenu de la température et des excellentes conditions de navigation, je « coure » la plupart du temps tout nu ! Le soleil n’a pas raté l’occasion d’un petit rappel à l’ordre !...

Nous entrons donc dans le pot-au-noir qui mérite bien une explication. Pourquoi cette zone porte-t-elle ce nom bizarre, aussi bizarre que celui que lui attribuent les anglais : les horse latitude ? Peu de gens le savent alors que ces expressions pour désigner la ZCIT sont bien connues, la première par les francophones, la deuxième par les anglophones. Ma capitaine, elle, le sait car en préparant notre voyage, elle a interrogé internet et obtenu l’explication suivante que je reprends à ma sauce : L’expression remonte au temps des négriers qui, partant des côtes africaines avec leur chargement d’esclaves, se retrouvaient encalminés pendant des semaines en l’attente de vent qui les pousserait vers l’Amérique (le plus souvent vers les Antilles). L’eau se faisant rare, les malades et parfois aussi quelques autres étaient jetés par-dessus bord. De là, l’expression qui révèle ainsi son horrible origine. Bien que cette explication soit contestée par certains historiens, il est curieux que les anglais – qui pratiquait le même sordide commerce – ont appelé ce pot-au-noir les horse latitude car l’histoire rapporte que quand l’eau venait à manquer, c’était les chevaux qui étaient passés par-dessus-bord. Une façon bien britannique de faire passer l’insoutenable réalité contenue dans cette expression car mon commentaire serait qu’il est plus facile d’avouer le passage par-dessus bord de quelques malheureux chevaux que celui de dizaine d’esclaves qui, dans le fond et sans vilain jeu de mots, n’étaient, aux yeux des négriers, qu’une marchandise comme une autre à la seule différence qu’elle consommait de l’eau ! Ceux qui ont vu le film ou lu le livre « AMISTAD » en connaissent un exemple romancé.

De l’eau, on en a encore assez pour finir notre voyage (personne ne sera donc passé par-dessus-bord ! ;-) ! mais cet exemple montre encore à souhait son importance et l’impératif souci de l’économiser même lorsqu’on en dispose à profusion. Savoir que la moitié de l’humanité n’a pas accès à l’eau courante devrait suffire à motiver nos comportements.

De l’eau, parfois il y en a trop d’un seul coup. C’est ce qui risque de nous arriver car dans cette zone il n’est pas rare de rencontrer des grains violents accompagnés de puissantes averses. C’est un peu ce à quoi nous nous attendons un peu comme ces gaulois qui avaient peur que le ciel leur tombe sur la tête ! On observe le système nuageux inconnu qui nous entoure. L’atmosphère est quelque peu anxiogène car c’est une attente. Quand le vent va-t-il s’essouffler ? Quand va-t-il commencer à pleuvoir ? Quand va-t-on subir le premier grain ? On est dans l’expectative et c’est souvent le cas lorsqu’on s’aventure vers l’inconnu.

Je ne saurais clôturer ce billet sans évoquer les drames qui se déroulent au Pays sinistré par les inondations sans précédent, inondations qui ont été mortellement destructrices. Privés d’informations, nous n’en connaissons que ce que d’aucuns ont la gentillesse de nous envoyer par courriels et nous sommes sous le choc. Déjà que la pandémie faisait la une depuis plus d’un an, cela ne suffisait pas. Il a fallu que la pluie vienne rappeler à tous notre vulnérabilité. Encore une occasion de nous pencher sur nos choix de vie, sur notre frénésie de béton, bref, sur tous ces choix qui ne tiennent pas ou trop peu compte de la Nature qui sera toujours la plus forte. Marjo et moi sommes désolés et tristes d’apprendre tous ces drames humains dont nous n’avons encore qu’une connaissance parcellaire. La solidarité et la volonté collectives pour pallier les besoins d’une partie de la population sinistrée rassurent quant à la bonne volonté des gens d’agir pour lutter contre la fatalité. Nous souhaitons beaucoup de courage à tous pour surmonter cette nouvelle épreuve dont on se serait bien passé ! … 

 (à suivre…)

 Samedi 24 juillet 2021. Sortie du Pot-au-noir à hauteur de La Guinée. N09°22’ W23°58’. 15 :10 (heure locale)

Après avoir traversé, dûment arrosés presque jour et nuit cette ZCIT (Zone de convergence intertropicale. Voir News 52) qui nous laissera un sentiment flagrant d’instabilité météorologique - presque aucune des prévisions reçues par PredictWind ne s’est avérée exacte - nous en sortons avec l’espoir de rencontrer les alizés de NE qui nous pousseront en direction des Açores et de l’Europe. Dire si passerons à travers l’archipel ou à l’E est encore trop tôt. A l’heure où j’écris, le ciel couvert d’un plafond nuageux très bas et fort peu engageant a fait place à un beau ciel bleu parsemé de nuages d’un blanc laiteux. De quoi nous sortir de cette ambiance d’incertitude qui caractérise ce pot-au-noir de triste réputation.

Alors que nous nous impatientions sous un plafond nuageux qui continuait à nous arroser par intermittence, une belle dorade coryphène est venue s’offrir en sacrifice pour agrémenter notre ordinaire qui grâce aux talents culinaires de la cambusière (ça aussi je l’ai déjà écrit ;-) n’est déjà pas si mal après 17 jours de mer. Le magnifique poisson d’un mètre de long à peine à bord, Marjo en leva les filets comme une pro et hop ! Au frigo. Trois succulents repas pour deux en perspective. Déjà ce midi, une portion poilée dans un filet de beurre fondu atterrissait dans notre assiette accompagnée de petites pommes de terre et d’une salade de chou blanc/carottes. On a pris des photos de ce beau mais surtout bon poisson que nous partagerons dès que nous aurons de l’internet (Seul Neptune sait quand !). Au moment où j’écris ces lignes, je me projette sur notre arrivée en Bretagne et sur toutes les formalités qui nous attendent là-bas. D’abord, il faudra rincer le bateau, le sortir de l’eau, le désarmer. Qui sera là pour nous accueillir ? Et cette foutue pandémie… Nous allons tomber dedans avec un système immunitaire non encore protégé par un vaccin contre la covid. Nous serons donc particulièrement vulnérables et espérons que toutes celles et ceux qui nous approcheront seront vaccinés. D’ores et déjà, nous avons entamé des recherches pour obtenir un rendez-vous le plus tôt possible afin d’être protégés. Nous garderons nos distances hormis avec nos proches qui devraient tous être en ordre de ce côté-là. En attendant la vaccination, nous nous confinerons. Après autant de jours de mer, cela ne devrait pas nous poser trop de problèmes !

Est-ce tellement je me réjouis d’arriver que j’anticipe tant pour en parler ? Il y a sûrement de cela. Mis à part quelques courtes escales, nous sommes quand même en navigation depuis le 23 décembre 2020 !!! Pffft, ça commence à faire long !!! Alors, je n’ai pas peur d’affirmer que le plancher des vaches sera le bienvenu ainsi que les retrouvailles tant attendues, tant espérées, tant rêvées…

Mais il nous reste encore tant de milles à parcourir !...

 Dimanche 25 juillet 2021 ; 04 :37 (heure locale)

 Je ne sais pourquoi j’ai tardé à poster cette News 53. Je pense que je n’y croyais pas trop d’avoir laissé le pot-au-noir derrière nous… De fait, si les pluies ont bien disparu, le vent, lui continue à nous bouder. Nous sommes donc en train de progresser vers le nord sous bonne brise YANMAR. Les vents de NE tentent bien de pousser quelques tentatives aussitôt avortées. Mais les alizés sont là. Il n’y a qu’à patienter encore un peu avant de refaire voiles ;-(…

 (à suivre…)

 Jeudi 19 août 2021. 42°03’54N & 019°21’14W. Cap au 060 en approche des côtes européennes.

 

A 796 nautiques du port de Arzal où nous sortirons le bateau de l’eau, je regarde la carte et notre petit point qui progresse vers ce qui sera la fin de notre odyssée. Pas la même qu’Ulysse car nos rencontres furent plus rares et moins homériques !

Si on décompte le siège de Troie, son voyage proprement dit dura dix ans (souvenirs de lectures anciennes à vérifier). Approximativement, la même durée que le nôtre et nous pouvons donc écrire comme dans la chanson de Brassens :

 

« Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage ;

Heureux qui comme Ulysse a vu cent paysages

Et qui a retrouvé après maintes traversées

Le pays des jeunes années… » (cité de mémoire)

 

Nous n’avons pas de quoi écrire un aussi beau et rebondissant récit. Nul cyclope ou autre gorgones ne se mirent en travers de notre route !

 Nous pouvons cependant écrire qu’à côté du voyage d’Ulysse, le nôtre compta beaucoup plus de milles parcourus. Naviguer 19312 milles en Méditerranée en dix ans reste possible mais néanmoins compliqué ! Nous et l’Otter les avons parcourus en 8 mois !

Hier, je préparais dans le cockpit la décoration de l’Otter pour notre arrivée. Nous allons le parer de ses plus beaux pavillons. Nous le pavoiserons (le grand pavois consiste à arborer dans un ordre défini par l’étiquette nautique, les différents pavillons de communication visuelle utilisés dans les temps anciens). Nous le pavoiserons avec fierté afin de le mettre à la fête et le remercier de nous avoir protégés durant ces longs mois de navigation rarement périlleux, parfois difficiles, souvent agréables. Notre voilier fut à la hauteur de nos attentes et nous qui nous étions promis, en quittant La Roche-Bernard, il y a presque 10 ans, de le ramener à son port de départ, nous pouvons déclarer à un saut de puce près Arzal est tout à côté de La Roche-Bernard) : promesse tenue !

Outre le grand pavois, nous lui amarrerons la cinquantaine de pavillons de courtoisie (56) représentant tous les pays visités au cours de toutes les années de navigation depuis son acquisition en 1996. Que de bons souvenirs qui vont lui donner de belles couleurs !

Gageons que le soleil sera de la partie et que nous pourrons, malgré la saga-covid, sabrer le champagne à notre arrivée. OK, ce sera masqués car nous devons rester prudents jusqu’à être vaccinés (r-v sont pris). Notre fille sera là avec son compagnon et leur petite fille dont nous allons faire la connaissance en présentiel. Elle a 20 mois et nous ne l’avons encore vue que bébé avant notre départ en avion pour la Nouvelle Zélande. C’est dire si nous trépignons d’arriver !

Arzal est, pour ceux qui ne le connaissent pas, un port de plaisance situé sur la Vilaine et protégé des marées par un barrage. Arzal est plus important que La Roche-Bernard, raison pour laquelle nous nous y arrêterons et y sortirons le bateau de l’eau pour l’hiverner. Il va nous demander beaucoup d’attentions et de soins. 8 mois intensifs dans deux océans laissent des traces ! Il va falloir passer la coque à la hautes pression, briquer les inoxs, enlever les voiles et les porter à la voilerie pour entretien et réparation. Mais avant tout, il va falloir sortir toutes les provisions non consommées notamment les conserves et les dessaler afin de leur éviter la rouille qui est leur pire ennemi. Livres et autres documents devenus inutiles à bord seront emportés. Bref, encore beaucoup de travail nous attend afin de désarmer complétement le bateau (terme trouvant son origine à l’époque où désarmer un navire signifiait le délester de ses canons) et ainsi le préparer pour passer l’hiver au sec  alors que nous serons rentrés en Belgique.

 

Ce 55ème News sera le dernier consacré à alimenter la page fb « La longue route de l’Otter II ». Dans quelques semaines, lorsque je disposerai de plus de temps et d’une bonne connexion internet, je clôturerai cette page et je en remercie déjà toutes celles et ceux qui m’ont lu et manifesté leur enthousiasme par leurs commentaires et les « like » ou autres émoticônes. J’espère qu’à travers mes écrits, seul le plaisir de partager une aventure hors du commun restera pour toutes et tous un bon souvenir qui vous aura un peu distraits des désagréments de la pandémie…

Prenez bien soin de vous et des autres. Je vais de mon côté essayer de faire de même…

 

PS : par superstition, je ne posterai cette 55ème News qu’une fois bien arrivés à Arzal…

et j’ai bien eu raison d’attendre car…

 

Jeudi 26 août 2021. 48°30’N & 007°03’W.

Nous entamons le 13ème jour de navigation depuis Horta et il nous reste encore à courir 180 nautiques qui seront les plus longs car contre le vent d’est qui ne désarme pas depuis une petite semaine maintenant. Il nous contraint à louvoyer ce qui allonge considérablement la route entretenant ainsi notre impatience d’arriver. La navigation au près serré est une allure peu appréciée des navigateurs au long cours car la gîte y est maximale et a pour conséquence un inconfort absolu. Toutes les activités à bord sont réalisées dans la recherche d’appuis pour assurer les déplacements et c’est là que cuisiner devient même périlleux ! Le risque de brûlure y est réel ainsi que celui de se blesser en étant projeté contre les meubles ou la gazinière … Tout objet abandonné sur une surface comme le plan de travail de la cuisine ou la table à carte, s’il n’est pas dûment arrimé se retrouve immanquablement transformé en projectile et atterri au sol ! L’ordre des équipets se trouve complétement perturbé. Les vêtements quittent leurs rangements, les casseroles voyagent et le contenu des coffres, cherchant à s’adapter à la gravité, est ainsi considérablement chahuté. Bref, c’est le chaos et la fin de ce régime de près serré est, malgré toutes les précautions prises, toujours suivie d’une longue période de rangement. C’est ce qui nous attend à l’atterrissage mais seulement après la fête et s’être reposés…

ETA (estimated time of arrival) ? On espère samedi… et on trépigne d’impatience !...

Et ce sera dimanche !

Notre retard inattendu aura été mis à profit par notre fils François pour arriver de Belgique en compagnie de sa compagne Charlotte et être là avec sa sœur pour nous accueillir.

 

 

                             FIN + Une journaliste de Ouest France était là !

 

« TÉMOIGNAGE. Le tour du monde à la voile de Jean et Marjolein quand la planète était confinée

Dimanche 29 août 2021, à 10 h, l’Otter II franchit avec élégance l’écluse du barrage et s’arrime à quai, à Arzal (Morbihan). Jean et Marjolein sont arrivés au terme d’un périple extraordinaire, sur une planète figée par le covid.

La famille se retrouve avec émotion, même si le contact par satellite a toujours été très présent. | OUEST-FRANCE

 

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Ouest-FranceModifié le 01/09/2021 à 15h33 Publié le 01/09/2021 à 15h19

 

L’émotion et la joie étaient palpables dans le petit groupe de proches et d’amis, à l’arrivée, sur la Vilaine, du joli cotre familial, l’Otter II, qui arborait fièrement son drapeau belge. Dimanche 29 août 2021, à 10 h, le bateau franchit avec élégance l’écluse du barrage et s’arrime à quai, à Arzal (Morbihan). À bord du bateau, Jean et Marjolein Lumaye Van Ettro arborent le sourire heureux de ceux qui touchent au but. « Arriver, c’est un bonheur suprême ! » s’écrie cette dernière en apercevant Manon et François, ses enfants, leurs conjoints et la petite Ava, qui vient d’agrandir la famille.

 

Des frontières fermées

En attendant qu’ils débarquent, Manon raconte leur histoire. « Nos parents sont partis en juillet 2011 de La Roche-Bernard, pour un grand voyage de plusieurs années à la découverte du monde, qu’ils ont sillonné de côtes en côtes, d’îles en îles et de mers en océans. En novembre 2019, ils arrivaient en Nouvelle-Zélande ». Et là, le couple, comme beaucoup de navigateurs se heurte aux prémices de la pandémie qui va rebattre les cartes du voyage.

« Nous désirions rentrer en Belgique. La Nouvelle-Zélande a fermé ses frontières à tous les voyageurs. Les avions n’étaient pas sûrs non plus du fait du virus, la vaccination n’était pas encore répandue dans le monde. Il était impossible de revenir si l’on quittait le territoire et impensable pour nous d’abandonner notre cotre. On a alors choisi la route du retour en bateau par l’Est, le Pacifique sud, départ le 23 décembre 2020 », explique Marjolein.

« Seuls au monde »

S’ensuit alors une expérience étonnante d’une navigation complètement solitaire et sans accès aux escales, avec, partout, la fermeture des frontières.

« On a été totalement isolés. Heureusement, le Chili nous a exceptionnellement autorisés à transiter via la Patagonie et la Terre de Feu. Nous étions seuls au monde, dans une nature indescriptible, en 52 jours de mer, on a croisé un seul voilier ! »

Les souvenirs ressurgissent, les tempêtes rencontrées, « la plus longue a duré 10 jours avec des rafales allant jusqu’à 70 nœuds, mais notre Otter II est solide ».

Puis le 7 mai, le passage du cap Horn. « C’était un grand moment d’émotion, on a pensé à tous les marins disparus depuis toujours en ce lieu symbolique. On n’a pas trouvé mieux que d’écouter un Requiem pour les honorer et leur dédier notre respect ». Et après la remontée de l’Atlantique sud par les 50e hurlants et les 40erugissants, l’arrivée à Sainte-Hélène, les Açores, et enfin l’arrivée en Bretagne, Arzal d’abord, puis Pénerf en Damgan, où la famille possède une maison depuis quatre générations.

« Nous allons mettre le voilier au sec, le bichonner »

Au final, ils ont parcouru pour ce retour 19 500 milles en huit mois et cinq jours. Se retrouver à terre après ce voyage « où tout bouge, tout est en mouvement », c’est aussi le moment de se poser.

« Nous allons mettre le voilier au sec, le bichonner. Et nous, nous voudrions à présent mettre un peu nos mains dans la terre, acheter une maison, créer une forêt nourricière. Un beau projet nature, pour prouver qu’on peut nourrir le monde et le rendre meilleur pour nos enfants et petits-enfants. Voyager autour de la planète rend humble, c’est aussi un voyage au bout de soi-même. Pendant cette grande aventure à deux, on a continué à se découvrir. Nous avons beaucoup écrit. Mettre ses idées par écrit, c’est bien. Nous continuerons », conclut Marjolein, les yeux encore pleins de 10 ans de belles images…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

02/04/2020

Atterrissage en Nouvelle Zélande...

Après une nuit de rosée qui a déposé sa fraîche humidité sur tout le bateau au-dessus comme au-dessous de la toile de protection du cockpit, j’ai entraperçu Manawatawhi, petite île aux avant-poste de la Nouvelle Zélande, notre destination. Et là, après huit jours de vie commune avec l’océan, les yeux larmoyants de bonheur, mes pensées se bousculent, se télescopent dans mon cerveau secoué par l’émotion. Depuis hier, le vent nous a abandonné. La peau de l’océan est tout juste ridée un peu comme la peau d’une jolie femme prenant de l’âge. L’océan respire. De très longues ondes à peine visibles viennent à la rencontre de notre étrave que celle-ci incise comme le scalpel d’un chirurgien. Son haleine condensée par le froid du matin se dépose sur l’horizon comme une couette immaculée. Le ciel est illuminé derrière sa couverture nuageuse qui le protège encore un peu des brûlures du soleil qui s’attaque à ses couches supérieures pour dissiper la rosée matinale. Celle-ci s’accroche  désespérément à tout ce qu’elle trouve pour se retenir se déposant comme une multitudes de perles sur toutes les parties,métalliques du bord. La lumière est fantastique. Matawatawhi ne veut pas encore se réveiller. Elle a retiré sur elle la blancheur de sa couette dans laquelle elle s’est noyée, prolongeant avec volupté sa sérénité nocturne.  Une grasse matinée, pourquoi pas ? Semble-t’elle dire. Et elle a disparu, enveloppée dans son brouillard. Encore un peu implore-t’elle. Encore un peu ... Et moi, je reste là, muet de reconnaissance, à contempler l’océan avec le regard attendri de l’amant admirant au petit matin la peau nue de son amoureuse encore endormie. Perdu dans mes pensées, je réalise combien l’océan m’a apprivoisé, durant toutes ces années qui ont été comme des fiançailles, en me faisant accepter ses sautes d’humeur, ses langueurs, ses caprices, ses colères. Aujourd’hui il est teinté de gris. Hier il était bleu. De ce bleu intense qui a ma préférence dans le spectre de l’arc-en-ciel. Emeraude, il surprend. Comme une femme élégante, il choisit ses couleurs en fonction de l’humeur du jour. Je l’ai déjà vu rubis au coucher du soleil. Dans le fond, c’est le soleil qui est son esthéticien attitré le maquillant et le remaquillant selon son inspiration. Ce matin est comme une déclaration d’amour réciproque de vieux mariés reconnaissant les bons moments vécus ensemble et oubliant tous les autres. Ce matin, au sommet de ma béatitude, j’en ai oublié, pour un moment pur comme un diamant, mes préoccupations familiales.

Sortie de léthargie... deux traversées passées sous silence ( des Fidji à la Nlle Calédonie et de là en Nlle Zélande.

Chronique de confinés en Nouvelle Zélande…

 

Alors que nous ne pouvions pas prévoir la pandémie qui nous attendait à notre retour en Nouvelle Zélande, une fois sur place, nous nous sommes occupés avec une remarquable efficacité à nous acheter un minivan destiné à nous abriter durant un roadtrip que nous avions prévu pour deux gros mois  de découvertes de ce magnifique pays. Une semaine plus tard, nous étions prêts à appareiller. Ok, c’est un terme de marine mais bon, c’était quand même un peu ça ! Nous nous sommes donc mis en route. Direction l’île du sud. Au moment où nous démarrons, on ne parle pas encore de confinement et nous nous disons, naïvement, que la Nouvelle Zélande sera peut-être épargnée. Et nous voilà en route. Notre minivan est un econovan de marque Ford (année 2005-157000 km). Nous l’avons fait expertiser et avons changé un pneu afin de partir avec un train de pneus homogène et presque neuf. On l’a doté de deux coffres de toit supplémentaires afin de ne pas trop amputer l.espace de rangement à l’intérieur.

 Nuit après nuit, nous redécouvrons la joie du camping qui, en Nouvelle Zélande, est particulièrement bien organisé. Nous ne sommes pas les seuls à crapahuter ainsi un peu partout. Des backpakers (c’est le nom que l’on nous donne ici) sillonnent les routes en mobilhomes, en minivan comme nous mais aussi à vélo,  en breack dont l’habitacle arrière a été transformé en lit ou plus simplement encore, à pied. Tout ce petit monde circule, réserve son arrêt par internet et s’en vient à ce rendez-vous dès l’amorce de la fin du jour. On choisit son emplacement, on découvre les installations sanitaires et on s’installe. On côtoie des jeunes de toutes nationalités mais aussi des seniors suréquipés qui font notre admiration. Les australiens sont les champions. De vrais camions 4 x 4 transformés en véritable maisons tout confort et manifestement prévus pour des expéditions bien plus exigeantes que la découverte de la NZ, quoique… pour n’en avoir encore aperçu qu’une petite partie, gageons que ces pros du « roadtrip » visitent des endroits inaccessibles pour nous. Nous verrons bien plus tard si ces supputations sont avérées ou non.

Urettiti Beach Campsite, Holiday park à Hamilton, Lowerhutt près de Wellington avant d’embarquer sur le ferry. Trois nuits pour nous habituer à notre roulotte (c’est en définitive le nom que nous lui garderons). Trois nuits pour nous réjouir et rêver de ce qui nous attend sur l’île du sud. 

A ce moment, nous prenons de plus en plus conscience que le covid-19 voyage si pas plus vite que nous, aussi vite et c’est la raison pour laquelle nous faisons l’impasse sur le célèbre musée de Wellington que nous réservons pour notre retour. Eviter la promiscuité, se laver les mains, désinfecter tout ce que nous touchons. Le « lockdown » n’est pas encore installé mais nous nous l’imposons déjà. Nous sommes comme des manouches. On ne nous la fait pas. Nous n’avons pas le droit à l’erreur. C’est ce que je nous répète souvent depuis notre départ de La Roche-Bernard.

 

A croire que notre escapade démarre sous le signe « ils ne passeront pas », le ferry s’y reprendra à trois reprises pour accoster, des vents catabatiques violents forçant le capitaine à renoncer et demander assistance. On sous-estime souvent ces vents qui s’apparentent aux célèbre williwaws sévissant dans les canaux de Patagonie et bien ici, à Picton, nous en avons eu un échantillon !

 

En route vers la capitale de la moule : Havelock où Marjo, toujours curieuse de cuisiner de nouveaux produits, en achète rapidement (on commence à nous regarder de travers) et, en route pour  Cable Bay, petite bourgade sympathique ayant acquis une certaine célébrité le 5 février 1876, date à laquelle la Nouvelle Zélande fut reliée à l’Australie par un câble sous-marin. De là son nom de Cable Bay qui a remplacé l’ancien lieu-dit  Schrouders Mistake.

 

C’est le lendemain de notre arrivée que, partis pour une longue ballade à pied, nous rencontrons un panneau d’information touristique qui attire toute notre attention. Deux jours auparavant, un directeur de campingsite nous avait prêté deux recueils de documents à propos de l’histoire de la Nouvelle Zélande et, le parcourant, je m’étais étonné de la date trouvée sur des photographies vieillottes décrivant l’état des premières routes gagnées sur le « bush » : 1890 ! Un rapide calcul confirme donc qu’il n’a fallu que 130 ans pour transformer « l’île du grand nuage blanc » comme les premiers découvreurs l’appelèrent, en la Nouvelle Zélande moderne et incroyablement développée que nous découvrons aujourd’hui. Moi qui n’ai jamais été féru d’histoire, force m’est de constater que celle de ce pays m’interpelle ! Il n’a donc fallut que trois ou quatre générations pour passer de l’époque pionnière à l’époque moderne… Et Cable Bay d’ajouter un nouvel étonnement à ma structuration temporelle. 

40 ans de ma vie pour transformer une ferme vétuste et insalubre en la jolie maison de famille qui vit grandir mes enfants et seulement trois fois plus pour construire la Nouvelle Zélande ! Je suis sidéré. D’autant que lorsque l’on parcoure son territoire, c’est comme un dessert à chaque tournant (et il y en a beaucoup !). Les paysages sont à couper le souffle et tellement variés tant le relief donne l’impression de montagnes russes qu’il faut escalader ou contourner. Quel travail d’avoir gagné sur une nature tellement présente en forêts, bushs, vallées fertiles, cols et creux et y avoir construit ces routes si agréables à parcourir !…

Mais revenons à notre découverte de Cable Bay. C’était le 5 février 1876 c’est-à-dire à peine trois lustres. Deux navires l’Hibernia et l’Edimburgh, engagés pour poser un câble de télécommunication entre l’Australie et la Nouvelle Zélande par l’Eastern Extension Cable Company, arrive en vue de la plage de Cable Bay sur laquelle déferle des rouleaux de vagues transformant le fond de la baie en un joli croissant d’écume blanche telle que celle, inchangée depuis lors, que nous observons aujourd’hui. La différence ? C’est que ces deux câbliers sont alors entourés d’une douzaine d’embarcations aux fins de prendre possession du précieux câble. Si ce n’est les rouleaux qui sont habituels et fort heureusement, le temps est particulièrement clément. Il a d’ailleurs bien profité aux deux bâtiments pour une traversée de la mer de Tasmanie qui s’effectua à la vitesse de 6 nœuds et demi en ce compris les arrêts dûs aux raccordements successifs des éléments du câble. Un record ! Onze jours après avoir quitté l’Australie, les câbliers arrivaient à destination créant ainsi l’évènement relaté à l’époque dans les colonnes du journal. Celui-ci y décrivit l’effervescence qui présida à la récupération du câble et à son difficile transport depuis les câbliers jusqu’à un bâtiment imposant construit pour l’occasion et dans lequel électriciens et experts se mirent à l’ouvrage pour établir la jonction. Il faut préciser qu’à l’époque, les communications se faisaient par l’intermédiaire d’un galvanomètre (miror galvanometer) ce qui signifie que les mots composant les messages étaient transmis par éclats lumineux et nécessitaient deux opérateurs : un lecteur et un transmetteur (dictation). Ce n’est que plus tard qu’un dispositif d’enregistrement fut couplé au système. 

 

Dire que l’arrivée de ce câble fut une aubaine pour la région est un moindre mot car un grand nombre de personnes dont dépendait le bon fonctionnement de cette nouvelle liaison y construisirent des maisons et même fondèrent une école pour opérateurs câbliers qui forma du personnel dont les compétences furent accueillies partout jusqu’à Singapour. En juin 1914, cette petite communauté fut victime d’un grave incendie qui détruisit tout le village.  L’île du N n’attendait que cela pour prendre le relais.

 

Quand j’entends ma femme et ma fille papoter pendant des heures au téléphone, nous ici à l’autre bout du monde et ma fille en Belgique, je suis sidéré des progrès des communications ainsi accomplis. 12 heures de décalage horaire n’y font rien. Quand on téléphone le matin, c’est le soir en Belgique ! Ma petite-fille Ava qui grandit à Arlon sous haute protection maternelle,  nous entend au téléphone. On se voit quand l’envie nous prend de brancher les caméras. On se voit plus souvent presque que si nous étions en Belgique. Certes ces rencontres sont virtuelles mais quel progrès ! On n’aurait même pas oser en rêver en 2011 au début de notre voyage ! La fibre optique a du bon. Notons que à l’époque du câble, alors qu’il fallait six mois pour joindre l’Angleterre par courrier, un télégramme ne prenait que quatre jours !...

 

Laissant Cable Bay dans notre sillage (oui, le vocabulaire marin me manque alors je me fais un peu plaisir) nous embouquons la route vers la très jolie ville de Nelson mais là, les masques commencent à apparaître dans les rues. Ma femme ne veut plus que je l’accompagne pour les courses car elle craint pour ma santé et, de toutes façons, je ne lui suis d’aucune aide si ce n’est pour porter les courses. Les cas de contamination passent de 3 à 20 en Nouvelle Zélande…

 

16 mars, le gouvernement impose un confinement à toute personne entrant en NZ

 

20 mars, fermeture des frontières exceptés pour ressortissant et résidents.

 

21 mars : 52 cas…. Je vous passe l’évolution chiffrée qui glace le sang !

 

.../...

 

Immigrés en NZ, nous nous faisons les plus discrets possible. Peu de sorties et seulement au coucher du soleil quand il n’y a plus que nous qui nous y intéressons. Il n’y a plus de touristes. Il n’y a plus que les débrouillards comme nous qui squattons un petit pavillon proche de la côte. On y accède en quelques minutes à pied. Marjo a réussi à le louer tout juste avant le lockout et a même poussé le bouchon jusqu’à le négocier. Elle est incroyablement efficace ! 

Nous voilà donc confinés mais un peu comme chez nous. Un bon lit, une cuisine bien équipée, de l’eau chaude, une bonne connexion internet,… on n’a vraiment pas à se plaindre. 

Une semaine que nous sommes ici et nous nous organisons. Comme tout le monde, nous faisons des choses que nous remettions à plus tard avant le covid notamment une grande réorganisation de nos données numériques. Moi, je fais des mots croisés pour entretenir mon vocabulaire (Moi qui aime tant la langue française, je me suis aperçu que je n’arrivais parfois pas à trouver un mot que je sais faire partie de mon bagage mais auquel je perds l’accès. Cela me fait enrager mais il paraît que cela arrive à beaucoup même plus jeunes. Il faut quand même dire que dans deux mois, je serai septantenaire !... Le temps ne nous fait pas de cadeaux !).

Tous les soirs, nous quittons notre gîte et je me promène sur la plage pendant que Marjo s’en va faire ses 10 000 pas avec ses cannes de marche. J’ai bien tenté de l’accompagner mais ma hanche gauche a bien vite déclaré forfait. Alors, je médite, le regard perdu dans cet océan que j’adore. Je découvre des trésors dans la grande quantité de bois flottés emmenés là-bas par le flot. La mer peut se faire artiste avec, comme assistant le temps passé à flotter. Cela donne des choses étonnantes et, tout en cherchant le morceau de bois exceptionnel, je me détends et les pensées vont vers parents et amis, si éloignés et ce, d’autant plus que l’impossibilité de retour se précise. Enfin, comme vous, nous allons faire preuve de patience et de vigilance afin de ne pas prêter main forte à ce satanique virus.

 

A vous retrouver bientôt chers lecteurs et, espérons-le, tous en pleine forme ! « S’en sortir sans sortir ». On va gagner !

 

(à suivre... si tant est qu’il puisse y avoir une suite ce qui est mon plus cher souhait)

 

 

 

22/05/2019

Le 20 mai dans la passe S de Fakarava

Hier, 20 mai, 12h35, Le gros pneumatique du centre de plongée Enata vient nous chercher comme avant-hier au bateau. Aujourd’hui, il n’y aura que nous avec Caroline, monitrice nationale CMAS. Avant-hier déjà nous avions fait connaissance avec la passe Sud et ses nombreux requins locataires. Je confirme. Il y en a vraiment beaucoup ! Je passe donc sur les deux plongées d’avant hier et me consacre à celles d’hier car à trois, ce fut un grand moment de plongée : une grosse tortue au départ, la tellement nombreuse meute de requins qui tournent sans arrêt dans la passe, un gros napoléon, une raie léopard, une raie manta, sans parler de ces innombrables poissons de récifs qui peuplent le corail très diversifié tapissant les parois de la passe. A la fin de la dérivante alors que j’ai déjà annoncé les 100 bars, on s’arrête dans une sorte de vallée affluent du canyon. On s’arrête car quatre grands requins gris nagent en une sorte de carrousel dont nous n’arrivons pas à déterminer la raison. Nous sommes accrochés au corail à une petite vingtaine de mètres de profondeur et les requins tournent au-dessus et autour de nous. P... ils sont gros ces pépères ! Au passage, on peut presque se regarder dans le blanc des yeux... La monitrice filme ou photographie à tout va. Moi, la batterie de ma GoPro est morte ! Je profite donc du spectacle. C’est en même temps magique et inquiétant car il est presque 17 heures et le soleil décline rapidement. Les requins se préparent-ils à la  prédation crépusculaire ? Après une pause d’observation d’une dizaine de minutes, la monitrice nous fait signe de nous arracher à cet impressionnant spectacle et de reprendre notre dérive jusqu’au pallier. Encore un grand moment de vie ! En y repensant, c’est quelque peu rassurés que nous avions « décroché » d’autant que Caroline nous déclara à la sortie de l’eau que : «des requins, j’en ai déjà vus beaucoup... Mais jamais d’aussi près ! ».

04/05/2019

Pique la baleine...

Aujourd’hui, je serai bien occupé à préparer l’Otter pour traverser vers les Tuamotu. Il faut mettre l’annexe sur le pont et la renettoyer (les eaux sont tellement chargées en plancton que les coques sont très courtisées et se garnissent de toutes sortes d’indésirables...). Dans cette dernière baie des Marquises, nous savourons nos dernières heures dans un archipel de rêve que nous étions bien en mal d’imaginer avant d’y avoir séjourné. Les Marquises feront partie des grands moments de notre voyage et les découvrir petit pas par petit pas nous fut un régal. Tant les paysages que le climat, que les gens rencontrés s’inscrivent dans les temps forts de nos pérégrinations. 

Nous sommes prêts à prendre nos distances non sans émotion car nous savons que nous ne reviendrons pas sauf peut-être dans une autre vie !... Nous emportons avec nous tous nos souvenirs qui dépassent de loin les nombreuses photos réalisées au cours de nos visites. Demain, nous lèverons l’ancre pour quatre jours de traversée au bout de laquelle nous découvrirons notre premier atoll. Nous avons choisi Kauehi pour sa passe d’accès facile et tout le bien que nous en ont dit des navigateurs qui connaissent déjà. On verra sur place et vous enverrons des photos. En attendant, j’apprécie ce moment de pose où j’écris suite au petit-déjeuner ponctué par le soleil qui vient de sauter par-dessus la falaise au pied de laquelle nous sommes mouillés. Hier, c’est la pleine lune qui a éclairé le mouillage et qui nous promet quelques belles nuits en mer. « Pique la baleine, joli baleinier, pique la baleine, je veux naviguer ! »