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07/07/2013

La belle Florès sous le signe de l'histiodromie

La belle Flores, sous le signe de l’histiodromie [1]

 

Le récit de notre redécouverte de l’archipel des Açores (voir LN n° 367) ne peut passer sous silence la pittoresque rencontre avec la dernière goélette latine encore en état de naviguer : le Pétrel et son sympathique capitaine, Michel DOUCIN. Dès notre atterrissage dans le « Porto das Lajes », après une nuit de traversée au près serré depuis Horta (île de Faïal : groupe central), ce gréement traditionnel attire notre attention. Un matelot de type espagnol, dont le torse bronzé et l’allure de pirate ne manquent pas d’impressionner les enfants, observe notre manœuvre de reconnaissance du meilleur endroit où mouiller l’ancre. Son sourire, découvrant des dents dont la blancheur contraste avec la noirceur de son visage buriné et l’amical signe qu’il nous adresse de la main nous rassurent. L’endroit semble parfait. On distingue à travers la limpidité extraordinaire de l’eau, un fond de sable qui semble de bonne tenue. C’est entourée d’une multitude de petits poissons que notre ancre descend vers le fond. À huit mètres, on peut encore l’apercevoir soulever un petit nuage de sable à son arrivée. L’environnement est merveilleux. Le vent de NNE qui nous faisait craindre au cours de la traversée une impossibilité de mouillage dans ce port, a tourné au NO laissant la baie à l’abri de la houle possible décriée à juste titre par les Instructions nautiques. Tout est tranquille. Seuls trois autres voiliers partagent ce magnifique mouillage. Plus près de la plage de sable noir, une baleinière tire sur son corps-mort. Le soleil brille, la température est estivale sans être accablante. De l’air circule. Les vacances vont pouvoir prendre un rythme plus approprié au repos. Si d’aucuns disent adorer les longues traversées, j’avoue pour ma part ne les apprécier que dans la mesure où elles m’autorisent la découverte de terres nouvelles. Cela constitue une véritable récompense aux désagréments encourus par des passages qui, en provenance des côtes françaises, ont été chaque fois en ce qui nous concerne quelque peu contraignants (vents contraires parfois forts ou pas de vent du tout et longues périodes d’utilisation du moteur).

L’annexe prestement gonflée, les enfants trépignent presque autant que notre chienne Ondine pour descendre à terre. Les raisons sont différentes, mais l’enthousiasme est le même !   Plutôt enclins à la sieste, nous les laissons débarquer seuls. Ils deviennent grands (13 et 15 ans) et recherchent tout naturellement une certaine indépendance que nous leur accordons bien volontiers. Nous les suivons un moment du regard alors qu’ils s’éloignent de l’Otter II.  Quelle n’est pas notre surprise lorsque nous constatons qu’au lieu de descendre à terre, au grand dam d’Ondine qui rêvait déjà de vertes pelouses, ils embarquent à bord du Pétrel ! L’aventure commence…

Et quelle aventure ! Revenus à bord, nos deux ambassadeurs racontent : « C’est formidable ! Michel, le capitaine du Pétrel est super sympa ! Il nous a invités à bord et nous a fait visiter son bateau… Il est français et organise des reconstitutions historiques[2]. Il y a des canons à bord ! Il va nous apprendre à tirer avec… Et puis, il ressemble à un vrai pirate ! Il a un vrai sabre d’abordage ! Tu sais, Papa, une cuiller à pot comme on en a vu à Saint Malo dans la maison de Surcouf ! Il nous a invité à participer ! On doit se déguiser en pirates… Les enfants comme les adultes… Tous les plaisanciers sont invités à prendre part à la reconstitution de l’attaque des pirates qu’a subi l’île en je n’sais plus quelle année ! Allez… Dites oui ! Dites oui !!!  En plus, Michel nous invite tous à un grand barbecue sur la plage. La municipalité de l’île lui a promis un mouton !»

C’est ainsi que commença notre séjour à Flores, marqué par l’enthousiasme et la spontanéité, le plaisir de la rencontre de personnages dont l’authenticité n’avait d’égal que la sympathie et la joie de partager.

On descend à terre

Débarqués à notre tour, nous sommes abordés avec cordialité par un agent de la police maritime qui s’adresse à nous dans un français impeccable. Documents dûment remplis, un collègue douanier moins doué en langues me demande les mêmes renseignements. Cela se passe en « franglaispagnol » avec comme maître mot, le souci d’être agréable et de communiquer. On parle de la traversée et même, avec un petit sourire compréhensif, des chasseurs sous-marins qui, au nez et à la barbe des autorités maritimes, organisent quotidiennement leur petit trafic de poissons avec les commerces locaux. L’agent relève qu’ils ne déclarent à leur rentrée au port que ce qu’ils peuvent prélever à l’océan à savoir six poissons par personne et deux crustacés. En réalité, on est loin du compte ! Mais cela n’a pas l’air de le perturber outre mesures…

Une fois les formalités remplies, nous grimpons dans le village. Celui-ci, comme l’île, se mérite ! C’est bien de grimpée qu’il s’agit… On est loin du plat pays du grand Jacques. Mais, un regard envieux adressé aux conducteurs locaux suffit à se faire prendre en charge ! Les autochtones sont très accueillants, s’intéressent aux étrangers visiteurs et se montrent prêts, très rapidement, à rendre service. Ce que l’on ne trouve pas dans les magasins, on le déniche par débrouillardise en enquêtant auprès des autochtones qui possèdent tous un potager voire un poulailler. Une fois la sympathie accordée, ils se coupent en quatre pour vous faire plaisir !

La découverte du village nous conduit à la bibliothèque municipale où l’accès à Internet est gratuit. Une communication téléphonique est partagée entre  huit ordinateurs… Une demi-journée de vacances pour relever mon courriel m’invite à rédiger succinctement à destination des amis proches un message d’arrêt d’utilisation de l’Internet comme moyen de communication. Trop lent, c’est trop lent !

Ensuite, la superette ou plutôt les superettes car il y en a deux. Là, c’est le « big bazar ». On trouve tout et rien ! Il faut chiner car l’ordre de présentation des articles à de quoi surprendre les habitués que nous sommes de l’ordre régnant chez nous, dans les grandes surfaces. Les prix sont raisonnables. Le touriste, bien que des rumeurs nous aient annoncé le contraire, n’est pas ciblé. Disons donc qu’il n’est pas encore ciblé ! Pourvu que cela dure…

Les Eglises

Autre curiosité rencontrée, l’église. Ou plutôt, les églises. À Flores, la religiosité prend une très grande place : d’une part, la religion catholique dont le bâtiment assez majestueux semble dominer le port et, d’autre part, une autre, plus discrète mais aussi plus omiprésente tant ses bâtiments sont nombreux, disséminés au sein du village. Il s’agit  des « Casa de Esprito Santo», les maisons de l’Esprit Saint qui, historiquement, émanent du délaissement spirituel dans lequel le Vatican, en raison de l’éloignement sans doute, a abandonné les îliens. En désespoir de cause, ceux-ci ont réinventé leur religion très tournée vers le partage. À chaque « casa » est annexée une pièce dont la porte est toujours ouverte et qui contient pommes de terre et autres nourritures destinées à sortir d’embarras les nécessiteux (Au cours de notre séjour sur l’île, nous n’avons rencontré aucun mendiant).  Quand Rome s’est penchée à nouveau sur ces « âmes perdues », elle n’a pu que réparer sa négligence en tolérant les rites nouveaux déjà fortement ancrés chez une population particulièrement croyante et à les intégrer avec les siens.

 

 

La fête de l’Emigrant

La fête de l’Emigrant se déroule à Lajes le troisième week-end de juillet. Elle semble être une émanation de cet esprit de partage qui caractérise les îliens. Nous y avons participé. Ce jour-là, les organisateurs occissent des vaches (j’ai entendu dire quatre) et les bénévoles locaux se mettent au travail. Dans un immense hangar pouvant accueillir des centaines de convives, des tables sont dressées et, lorsque nous arrivons, elles sont déjà toutes occupées par des villageois dont l’attitude semble bien augurer de la qualité de ce que contiennent les nombreux plats fumants distribués sur les tables. Les personnes - dont nous faisons partie - qui n’ont pas de place patientent en discutant. Ici, pas de bousculade, pas d’énervement, pas d’agressivité. Je ne relève que de l’intérêt dans les regards qui croisent le mien. Lorsque des places se libèrent, nous sommes invités à nous asseoir. On nous sert un merveilleux bouillon parfumé à la menthe accompagné de viande de bœuf bouillie d’un goût excellent, le tout accompagné de pain et arrosé à volonté d’un merveilleux petit vin du pays. Tout cela, servi avec une gentillesse extrême, est gracieusement offert à tous par la communauté, sans distinction aucune. Un bel exemple de tolérance et d’accueil à l’étranger voyageur. La convivialité du repas et la bonne humeur contagieuse font qu’en quittant ce local, on a encore fait la connaissance de plusieurs personnes qui nous ont invités à venir les saluer à leur domicile. C’est cela la spontanéité et la générosité de Flores !

Le soir, un ferry est annoncé. C’est l’effervescence dans le port. On saute dans les zodiacs et l’on fonce tous pavillons déployés à la rencontre du navire. Beaucoup d’émigrants ayant délaissé l’île pour les Etats-Unis ou le Canada, reviennent ici l’été pour la fête qui leur est destinée. Des coups de canons éclatent en haut de la colline pour saluer l’arrivée du « Lady of Mann ». Les canonniers du Pétrel en profitent pour les essais de rigueur. Bref, cela tire de partout. Les remparts de Lajes sont déjà bien occupés par les autochtones qui attendent, qui un fils, qui un cousin ou un petit-neveu. Le port, d’habitude très calme, est parcouru par un tas de véhicules  qui se pressent pour recevoir visiteurs ou denrées destinées à achalander les magasins de l’île. Le lendemain, il sera impossible de louer la moindre voiture. Elles sont toutes réservées pour les nouveaux arrivés (qu’on se le dise !)

Le soir, les remparts grouillent de monde. Tous les villageois sont venus participer ou assister à la « tourada de la corda », la corrida de la corde qui commémore l’utilisation par les locaux de leurs propres troupeaux pour repousser les Espagnols sur la plage de Praaia da Vittoria (Terceira) en 1581. C’est de notre bateau que nous assistons aux démonstrations de bravoure des jeunes gens (et parfois moins jeunes !) de l’île. Nous pourrons constater combien les téméraires qui se croyaient à l’abri dans l’eau, s’y sont fait poursuivre par les animaux excités. L’ambiance est à son comble. Acclamations, rires, musique, danse. Le vin et la bière coulent à flots. C’est la fête ! Celle-ci se poursuivra au cœur du village très tard dans la nuit ainsi que le lendemain. La clôture : un feu d’artifice qui aurait fait pâlir d’envie les artificiers parisiens le jour du 14 juillet. Ici, aux Açores, on ne lésine pas sur les moyens ! Déjà il y a deux ans à Sao Jorge, nous avions été abasourdis par la qualité exceptionnelle du spectacle.

 

La stèle des naufragés

Pilotés par Michel, notre guide improvisé, féru d’Histoire et d’histoires, nous fait découvrir la plupart des plus beaux coins de l’île. En fin de matinée, il nous emmène en direction de Santa Cruz par un itinéraire des plus tourmenté. Il nous raconte l’histoire incroyable de douze rescapés du naufrage du « Modena de Boston » qui, à partir de 1873 vécurent à Flores pendant deux ans sans que, fait inhabituel sur ces îles, leur présence ne soit reprise dans aucun registre ! Seule une maison en ruine accrochée à flan de falaise et une stèle gravée par leur capitaine, W.H. Land, atteste de leur présence… Le mystère demeure. Pour quelles raisons ces hommes furent-ils ignorés par l’Administration. Etait-ce des pirates ? Tout porte à croire, dans tous les cas, qu’il semble impossible que douze hommes aient pu vivre ainsi pendant deux ans, cachés de tous. La municipalité, questionnée à ce sujet, reste a quia.

C’est à la recherche de ces vestiges que nous nous sommes rendus sur place, guidé par Michel à travers champs et forêt d’eucalyptus. Arrivés aux ruines, nous découvrons d’abord la stèle que nous déchiffrons : « Capt. W.H. Land and 11 men landed May 5, 1873 from Bark Modena of Boston Mass. Foundred April 22. » Un sigle que l’on jurerait maçonnique augmente encore le mystère entourant le Capt Land. Encore une énigme à découvrir ou à vérifier ! Un peu plus haut, la maison en ruine  regardant l’océan du haut de la falaise. Sur le pas de la porte du refuge de ces pauvres gens, nos regards se perdent dans l’infini de l’océan et les questions se bousculent. Mes réflexions me conduisent à mieux comprendre  que l’Histoire est en fait une série de petites histoires mises bout à bout, la difficulté pour les historiens étant surtout d’établir la multitude de liens qui les unissent. Pour les enfants, c’est une véritable leçon de pédagogie active. Ils ne tarissent pas de questions auprès de Michel qui répond avec la patience d’un bon professeur.

Sur le chemin de retour, nous nous désaltérons à une des nombreuses cascades d’eau cristalline qui parsèment l’île ? Nous sommes bien silencieux, chacun y allant de son imagination pour tenter de construire une hypothèse de vérité.

Le mausolée du pirate

Une autre curiosité nous attend encore. Sur le chemin du retour, dans le petit village de Corvo, Michel nous fait découvrir une église dont la richesse des décorations contraste avec la simplicité des habitations avoisinantes. Un richissime donateur a dû en donner des escudos pour le rachat de ses fautes ! Qui cela pourrait-il être ? Encore une question sans réponse… Y a-t-il un lien entre la première et la deuxième histoire ? Sur l’île, d’aucuns racontent qu’un riche coureur des mers aurait été le généreux donateur. Sa tombe serait la magnifique pièce de marbre qui se trouve dans le cimetière annexé à cette église : les locaux l’appellent le mausolée du pirate. Ils racontent que ce mausolée aurait été déplacé par les autorités religieuses car celles-ci admettaient difficilement qu’un pirate soit enterré en terre chrétienne. D’un autre côté, force était d’admettre que celui-ci avait fait amende honorable en dotant l’église de telles richesses. Il fut décidé qu’une sanction lui serait quand même imposée. Le mausolée, orienté d’abord face à l’océan, fut tourné de 180° afin de montrer symboliquement que l’esprit du pirate tournait le dos au terrain de ses méfaits.

Bien d’autres histoires courent à Flores. Les quinze jours que nous avons passés sur l’île n’ont pas suffit  à nous les faire découvrir toutes. D’autant que nous avions emmené notre matériel de plongée sous-marine. Ainsi équipés, nous nous sommes offert trois plongées inoubliables dont une de nuit sous le bateau. La limpidité de l’eau et sa richesse en faune surtout, la flore étant assez discrète, nous ont laissés béats d’admiration. Une multitude de poissons d’espèces différentes habitent ces eaux : nous y avons rencontré des murènes nageant en pleine eau, des raies pastenagues de grande envergure (plus d’un mètre), des poissons coffres se gonflant de colère au plus grand plaisir de mon fils François qui ne se lassait pas de les taquiner… En plongeant là-bas, nous avons compris que ceux qui aiment le poisson à Flores ne risquent pas de mourir de faim ! Nous étions parfois entourés de bancs de poissons dont chaque individu aurait pu constituer à lui seul un repas entier.

C’est avec regrets que, le 30 juillet à 19h00, nous avons levé l’ancre et pointé notre étrave vers l’Europe. Après 11 jours et demi de navigation via La Corogne pour faire le plein de fuel, nous avons croché notre corps-mort en rivière de Pénerf. Cette année, tant pour l’aller que le retour, les caprices du vent (absence ou refus), ne nous ont laissé que peu de plaisir de voile pure, le moteur devant être beaucoup trop souvent sollicité. L’an prochain est une autre année ! À suivre…



[1] Histiodromie : Art de naviguer à la voile (cf. Dictionnaire Bonnefoux (marine), 1855 ; Littré, …)

 

[2] En fait, Michel DOUCIN est le président d’une association appelée « Association de Recherche en Histiodromie » . Dans le cadre de cette association, il organise des reconstitutions historiques mettant en scène le Pétrel qui remonte le temps à la recherche de son passé et de son nom d’origine présumé être « La Volante ».

 

16:20 Écrit par Otter2 dans Articles publiés | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |

En passant par...Lisbonne avec l'Otter II (été 2006)

En passant par…

 

Lisbonne avec l’Otter II.

 

56 heures ! Du ponton du port de Lorient à celui de La Corogne, c’est un record que notre Hans Christian 43T (voir LN n°s 367, 373, 374, 387, 401) a établi par un vent soutenu de N-O. Bonne brise par le travers, le bateau a littéralement labouré la puissante houle atlantique stimulant notre loch  tout étonné de se stabiliser au-dessus des 8 nœuds/surface, voire même plus par moments : quelques pointes à 9 nœuds ont été observées. Le pilote B&G a fait merveille et l’équipage, détendu s’est adonné à ses occupations de belle traversée : sieste, bronzette, lecture et pêche à la traîne.  Nos deux adolescents, comme l’an passé et sans qu’il n’ait fallu insister, nous accompagnent, ma femme et moi, ainsi que notre inséparable chienne Ondine.

Arrivés à La Corogne le vendredi 8 juillet 2005 alors que le vent fraîchit et vire au N-E, nous laissons passer un coup de vent annoncé et, le beau temps s’étant rétabli, repartons vers Lisbonne sous la poussée d’une petite brise du N. Nous sommes le lundi 11 matin. Deux jours après, en fin d’après-midi, nous embouquons le Tage alors que le vent a fraîchi comme tous les jours, à partir de midi, sous l’effet des brises thermiques. Lisbonne et sa tour Belem nous accueillent. Nous imaginons la joie des découvreurs portugais rentrant au pays, épuisés par les privations et les maladies qui ont décimé les équipages et nous savourons notre chance de naviguer au XXIème siècle, confortablement installés, agrémentant notre voyage de nombreuses lectures dont certaines, choisies pour la circonstance, influencent notre imagination :

« Août 1499. Lisbonne. Deux bateaux approchent de l’estuaire du Tage. Cinquante-quatre hommes seulement sont sur les ponts. Des cadavres, animés d’un peu d’émotion à la vue de ce port familier. Des cales presque vides. Près de quarante-cinq mille kilomètres dans les voiles. Le plus long, le plus éprouvant des voyages au pays des Merveilles. (…) Gama sait qu’il a gagné la gloire ; tracé la route des Indes, (…). Désormais le Portugal a gagné la bataille des épices, de la porcelaine et de la soie et devant lui s’ouvre une époque inouïe de puissance et de richesse. »[1] .

Cette puissance et cette richesse, nous allons les percevoir tout au long de notre séjour dans la capitale portugaise. Depuis l'échec de la "révolution des œillets" qui a marqué, en 1974, la victoire de la transition démocratique, le pays s’européanise. Il se modernise sans pour autant cesser de rappeler sa gloire passée qui transpire à travers son magnifique paysage citadin. La misère sociale est , par contre encore présente : on peut la percevoir çà et là au détour de l’une ou l’autre ruelle de certains quartiers.

Il est 18 heures quand nous franchissons le pont tournant qui garde l’entrée de la Marina Alcantara. Attention à ne pas oublier de régler les montres : le Portugal est à l’heure d’été TU + 1. La marina, à cette époque de l’année, ne semble pas du tout surpeuplée et nous nous félicitons d’avoir tenu compte des instructions nautiques qui la conseillent. Elle est gardée nuit et jour  par un sympathique capitaine monolingue assisté de son caractériel caniche, « Roger », beaucoup plus commode qu’il n’en a l’air ! Un portique à code protège l’entrée et nous rassure donc immédiatement : pendant nos absences, l’Otter II ne risquera rien.

Après une bonne nuit de sommeil, nous nous équipons et, avec enthousiasme, partons à pied à la découverte de la ville.

La petite capitale européenne est une magicienne. Le rouge du soleil couchant sur le château São Jorge, le jaune des tramways et le bleu du Tage confèrent à Lisbonne une atmosphère colorée qui s’est dévoilée à nous au fur et à mesure de nos déambulations à travers les vieux quartiers. Lisbonne n'a pas la prétention ni l'exubérance des grandes métropoles : Lisbonne est simple, belle, idéale pour une escale toute en couleurs. Il faut se perdre dans les vieux quartiers, monter et descendre ses sept collines pour l'apprécier et y découvrir une incroyable chaleur humaine. C’est ce que nous avons fait du12 au 20 juillet. Huit petites journées pour arpenter ses ruelles et apprécier le charme des petits parcs idéalement répartis où les gens se reposent et se rencontrent. Nous visiterons également des musées (celui de la marine, celui du Fado et l’impressionnant Calouste Gulbenkian). Nous flânerons aussi dans lescentres commerciaux débordant d’activités et nous nous émerveillerons en rendant visite au couple de loutres de mer (des « Otter ») qui sont les vedettes du magnifique aquarium du Pavillon des Océans.

Signalons au passage que la marina de l’expo est toujours fermée suite aux dégâts occasionnés par les coups de vents de l’hiver 2000/2001.

Le vendredi soir, judicieusement conseillés  par la préposée à la billetterie du musée du Fado, questionnée pour éviter les pièges à touristes, nous passerons une soirée inoubliable à l’Esquina de Alfama (4, rua de S. Pedro – 21 887 05 90 pour les réservation).  Nous étions pour ainsi dire les seuls étrangers dans le restaurant.  Tous les autres convives étaient des lisboètes, hauts en couleurs, venant se retremper dans leurs racines pour fêter la fin de la semaine. À tour de rôle et à l’invitation du maître de maison, différents chanteurs, hommes et femmes, accompagnés de deux guitaristes, se sont succédés au micro pour notre plus grand ravissement. Nos deux ados ont adoré et l’ont manifesté par un enthousiasme sans retenue. L’ambiance était chaleureuse ; le rire et la nostalgie se confondaient en plaisir de partager un bon moment de détente collective. Avec l’accueil inoubliable que nous avons ressenti, cette soirée fut le point d’orgue de notre séjour à Lisbonne.

Respectueux du souci de ne pas dégoûter nos jeunes de notre passion pour la croisière et compte tenu de la possibilité, quand on s’y prend à temps, d’obtenir des billets d’avion bon marché, nos enfants nous quittent pour aller prendre leur bain annuel de camaraderie avec leurs amis de Pénerf [2]. Mes beaux-parents les prennent en charge jusqu’à notre retour.

Nous quittons donc Lisbonne en fin de journée, espérant profiter de l’accalmie nocturne pour la remontée vers le N. A l’embouchure du Tage, un gigantesque porte-avion américain nous oblige à prendre un large tour. Des navires escorteurs veillent à tenir les curieux à distance. Un ferry local est en approche du géant pour prendre en charge la bordée de terre pendant que nous poursuivons notre route vers l’O-N-O au près bon plein. Nous laissons Cascais sur tribord, arrondissons le Cabo Raso et le Cabo de Roca et faisons route vers les Iles Berlenga. Une brume opaque s’installe et ne nous quittera plus jusqu’au lever du jour. Installé pour mon quart devant le radar, je surveille la progression de l’Otter II qui court sous grand voile arisée et appuyé par le moteur à 20° du vent apparent. Nous filons 5 nœuds sur une mer relativement calme. Un écho se dirigeant sur nous à grande vitesse attire mon attention. Je le capture sur le mini ARPA qui équipe notre radar. Sa vitesse est de 20 nœuds et son cap nous prévoit une rencontre (CPU) dans moins de 5 minutes.  J’abats de 20° et réduit ma vitesse. L’écho modifie aussi sa route et poursuit son approche. Je sors dans le cockpit mais redescends très vite. La visibilité est trop réduite :  notre puissant phare éclaire à peine jusqu’au beaupré. Le stress s’installe. Je réveille Marjo, augmente le son de la VHF et réduit encore notre vitesse à 3 noeuds. L’écho n’est plus qu’à 1/2 mile et nous ne l’avons toujours pas en visuel ! Je reste maintenant derrière la barre, le cœur battant car j’entends maintenant distinctement le bruit d’un moteur. Soudain, par l’avant du travers bâbord, j’aperçois une silhouette qui émerge de la boucaille. C'est une vedette rapide qui, virant soudain de bord, se place à notre hauteur et nous éblouit de son puissant projecteur. Toujours rien à la VHF. La vedette ralentit, vient sur notre arrière puis sur notre arrière Tribord, son projecteur poursuivant son travail d’inspection. Je commence à m'énerver, saisis mon phare et leur balance aussi  « la sauce » en montrant de la main gauche placée devant mes yeux qu’être ainsi agressé de lumière ne relève pas spécialement des bonnes manières. Leur projecteur s’éteint aussitôt ce qui me permet d’identifier mon agresseur : police maritime ! Aussitôt, la VHF nous envoie : « Otter two, Otter two, Otter two, this is the coast guards. Do you hear me ? » Je vous passe la suite qui consistera  en une cordiale vérification d’identité de routine sans visite à bord. La conversation s’écartant quelque peu de la procédure normale, je compris qu’une fois de plus, l’interlocuteur de Marjo était tombé sous son charme. Que ce soit en mer ou à terre,  Nil novi sub sole… D’un autre côté, mon soulagement était réel car, une fois de plus, cette situation m’avait fait prendre conscience de notre vulnérabilité !

L’île Berlenga nous a déçus. Bien qu’un labyrinthe de grottes et tunnels soit une curiosité à y visiter, l’île est le territoire des goélands. J’ai tendance à dire : « Rien qu’aux goélands ! » L’endroit dégouline de fiente. Toute l’île en est recouverte ainsi que les toiles de tentes des « malheureux » campeurs qui semblent pourtant s’en accommoder. Déclarée « Réserve naturelle », l’accès  y est interdit aux chiens qui se voient refoulés à bord. J’ai supposé que cette mesure était destinée à les protéger des bombardements des volatiles qui sont tellement nombreux qu’à certains endroits, même lorsque nous étions dans l’annexe, il pleuvait du guano ! Dans ces conditions, on se demande combien de temps encore la promiscuité hommes/oiseaux sera encore possible. Quant aux macareux, moines et cormorans, mentionnés dans les instructions nautiques, j’ai eu l’impression qu’ils s’étaient déjà faits à l’idée que ce territoire n’était plus pour eux. Ils brillaient en effet par leur absence !

Antépénultième étape : Nazaré. Dans ce petit port bien protégé et accessible par tous les temps, nous nous sommes attardés deux jours tant les rencontres y furent agréables. Il y a tout d’abord Mike, le capitaine du port, natif de l’île de Mann (c’est-à-dire ni Anglais, ni Irlandais ! Attention aux susceptibilités…) et sa femme ; ce sont des personnes exquises, dévouées et attentives aux moindres besoins des visiteurs. L’accueil est exceptionnel. On y rencontre également l’incontournable Luis Estrelinha Guincho qui se vante de vous vendre absolument tout ce dont vous avez besoin ! Et il le prouve… en français, s’il vous plaît. Adorablement authentique, fils de pêcheur, il sait que dans son magasin, même sans jamais prendre de vacances, il est mieux qu’en mer comme son père dont il a connu la souffrance. Cette vie dure des pêcheurs est encore présente dans ce village devenu une cité balnéaire très fréquentée. Des poissons délicieux sèchent encore sur la plage, vendus par ces femmes de pêcheurs que l’on dit porter encore sept jupons ! Encore une fois ici, deux mondes, deux époques qui se mélangent pour exciter notre curiosité. Nous nous y serions encore bien attardés tant la tentation était forte de nous évader à la découverte des nombreux sites les plus intéressants du Portugal comme Fatima , Alcobaça, Caldas da Rainha, entre autres curiosités recommandées par le guide Imray. Une dépression inespérée de S-O en décidera autrement. C’est une occasion vraiment rare. On va donc en profiter. Stimulé par l’équipage du « AMUITZ » dont le skipper José AROCENA est un champion de la météorologie embarquée, nous prenons congé de notre petit monde si sympathique et mettons le cap, au portant, vers Leixoes d’où nous comptons visiter Porto, dernière escale prévue de notre croisière. Faisant route sous spi, je me surprends à envisager de profiter de ces conditions exceptionnelles pour reporter notre visite à Porto pour une autre occasion et retraverser le Golfe dans la foulée. La déception lue sur le visage de ma femme à cette seule idée d’écourter notre croisière à deux suffit à balayer cette idée de ma tête de capitaine prévoyant. « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » est un proverbe qui, nous l’apprendrons à nos dépens, s’applique également en mer.

Nous visitons donc Porto au départ de Leixoes, ce qui est une bonne solution tant les transports en commun s’y prêtent merveilleusement bien. Mis à part notre visite d’une des caves et, pour nous y rendre,  le passage du Douro à pied sur le superbe pont Dom Luis 1er (dû au talent d’un élève d’Eiffel),  peu de choses nous y ont retenus. Le port, certes actuellement gratuit car privé d’eau et d’électricité depuis un incendie survenu l’an passé, accueillait les voiliers de passage mais exprimait un petit air de désolation assez peu engageant. De plus, le vent dépressionnaire avait forci au cours de la deuxième nuit et l’envie d’en profiter pour nous échapper vers le N fut, même si elle n’était plus exprimée, encore présente !

Les amarres sont larguées sans regret et, le vent étant calmé, nous remontons sous spi vers le N. Pendant la nuit qui précède notre arrivée à notre dernière étape prévue avant la grande traversée, le vent tombe. On rentre le spi et c’est au moteur qu’au petit matin, nous embouquons l’une des plus belles rias de Galice, la ria de Camarinas. Nous sommes le 30 juillet et nous avons laissé passé notre chance… Le lendemain, l’Alizé reprendra ses droits !

À Camarinas, nous nous reposons jusqu’au 6 août, attendant en vain une bonne fenêtre météo. L’anticyclone des Açores pousse vers le N et envoie des vents de N-E sur tout le Golfe de Gascogne.

Nous attendons également que des nouvelles batteries viennent de La Corogne où un électricien de marine local nous les a commandées. Les nôtres sont en bout de course. Elles ne tiennent plus la charge et nous avons décidé de les remplacer. Fort heureusement d’ailleurs car la suite de notre voyage va mettre notre pilote à rude épreuve !

Attendus à Pénerf pour le vendredi 12 août au plus tard et la météo, bien que non favorable à notre traversée, n’annonçant pas de coup de vent, nous larguons les amarres. Nous sortons de la ria par un vent soutenu de N. On file 7/8 nœuds. Ce sont les derniers moments de bonheur. Dès la sortie de la ria, le vent forcit et ne descendra plus sous les 20 nœuds jusqu’à Belle-Ile. La houle d’ouest nous cueille, croisée par les vagues levées par le nordet. Nous remontons le vent à 50°. La bagarre commence. Cette allure de près, inconfortable, nous chahutera pendant 5 jours et demi, ne nous laissant aucun répit. L’Otter II, Marjo et moi allons prendre une leçon de patience et de persévérance, Ondine se limitant à nous adresser des regards qui en disaient long sur son envie de revoir un carré d’herbes. Les creux s’amplifieront  et le vent poussera des pointes à plus de 30 nœuds, nous forçant à remonter jusqu’à la latitude d’Ouessant avant de replonger bâbord amures sur Pénerf. À 19 heures, le mercredi 10 août, nous apercevons le Pignon balisant l’entrée de la rivière de Pénerf. Le vent est tombé et nous sommes au moteur. Depuis Belle-Ile, nous remettons de l’ordre dans le bateau, enfin à l’horizontale et répondons aux messages téléphoniques qui nous proviennent  de tous ceux qui s’inquiétaient de notre trop long silence. Sur le journal de bord, en guise de point final à notre croisière, j’ai écrit : « Merci Neptune, on a compris la leçon ! »

Après quelques jours à terre, la chaleur de l’accueil de nos enfants, de nos parents et amis estompent ces mauvais souvenirs. Nous nous rendons compte que ces 5 jours et demi de galère sont déjà oubliés et réalisons que, pendant cette éprouvante remontée du Golfe, jamais nous n’avons eu peur. Notre Hans Christian s’est montré à la hauteur de la tâche que nous lui imposions. Il a lutté bravement et nous a ramené au port, sains et saufs, nous permettant de lui conserver notre confiance pour nos vagabondages à venir…



[1] Olivier & Patrick POIVRE D’ARVOR. Rêveurs des mers. MENGES. Paris, 2005.

[2] Bretagne du Sud

16:18 Écrit par Otter2 dans Articles publiés | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |

Un peu de poésie

Deux bateaux s’aimaient d’amour tendre… à l’insu de leurs propriétaires.

 

 

Il était une fois l’Otter II, Hans Christian 43T[1], que son équipage, Marjo et Jean, avait prêté à un chantier lorientais pour l’aider à donner vie à d’autres beaux bateaux comme lui. Ils ignoraient que leur Ami supporterait mal l’éloignement de la merveilleuse rivière de Pénerf où il se sent si bien en été. Il était nostalgique, ne côtoyant dans le vieux port, hormis son nouvel ami Yves, que des bateaux de passage, pas toujours beaux et pas toujours bien élevés. Enfin, il se faisait une idée de tout cela, prenant son mal en patience en attendant de pouvoir prendre le large. Il était mélancolique et tirait mollement sur ses amarres…

Un beau jour, son cœur soudain s’accéléra. Une belle unité, racée comme lui mais un peu plus petite, vint prendre place à un ponton situé non loin de lui, à peine une encablure l’en séparait. « Elle est belle et très jeune », se dit-il. À partir de ce moment, il n’a d’yeux que pour elle. Il n’en peut plus de tirer sur ses amarres en l’absence toujours trop longue de son skipper. Impossible de lire son nom. Encore moins de le lui demander. Tout le monde sait que les bateaux ne peuvent que murmurer à l’oreille des seules personnes qui les aiment et les écoutent. Un beau jour, la belle est prise en charge par de nouveaux propriétaires et quitte Lorient.  Otter la regarde s’éloigner avec tristesse mais l’image de son nom peint sur sa fesse gauche, ne le quitte plus : « La Clémence ». « L’a-t-elle seulement remarqué ? », se dit-il. Plein d’espoir, il pense qu’un jour peut-être, il la reverra.

L’été venu, quittant la rade de Lorient pour son vagabondage estival, Otter n’a qu’une seule idée : la retrouver au détour d’un cap, d’une baie ou l’attendre dans un merveilleux mouillage. Son barreur le trouve bien fringuant en ce début de croisière. Il ignore encore que son meilleur Ami est amoureux. Et d’ailleurs, est-ce bien raisonnable de penser qu’un bateau puisse l’être ?

À la fête de la mer de Pénerf, Otter est tout pavoisé. Ses propriétaires l’ont décoré. Outre son grand pavois[2],  il arbore tous les pavillons de courtoisie gagnés au cours de ses nombreux voyages. Les bateaux à faible tirant d’eau ne sont pas, comme lui, contraints de rester amarrés à leur corps-mort. Ils tournent autour de lui avec élégance. Tous ont revêtu leurs plus beaux atours. Les feux de Bengale, les cornes de brume, les chants de marins, le son des binious du bagad[3] venu pour la circonstance, donnent à la fête tout son panache pendant la bénédiction de la mer.

Mais Otter est toujours un peu triste. Certes, il a beaucoup navigué. Ses propriétaires l’ont emmené jusqu’au Portugal. Mais partout où il est allé, nulle part il n’a aperçu La Clémence. « La reverrai-je un jour ? », se lamente-t-il.

Soudain, alors que tous les vieux gréements appareillent pour aller faire la fête au Croisic, La Clémence est là. Sa grand voile haute,  timidement, elle tourne autour de lui. Il entend à peine ce que les personnes se disent des deux bords. Il est sous le charme… À peine rencontrée, la voilà qui s’éloigne encore et disparaît lentement, empruntant la passe de l’Est.

Plusieurs jours plus tard, alors qu’il continue à se reposer un peu trop à son gré, Marjo et Jean lui cherchent un nouvel endroit où passer l’hiver moins loin de sa belle rivière. Ils n’en parlent guère, lui réservant la surprise ! Ainsi, à la fin du mois d’août, l’Otter II  dirige  son  étrave vers un endroit merveilleux qu’il connaît déjà : une autre rivière, mieux abritée : la belle Vilaine qu’il remonte jusque La Roche-Bernard.

Alors qu’il vire de bord vers le vieux port où l’attend son nouvel emplacement, Otter distingue le beaupré[4] caractéristique d’un Hans Christian. Un doute surgit : « Serait-ce La Clémence ? »

Amarré avec soin à côté du bateau restaurant et presqu’en face de la capitainerie, l’Otter est tout excité. Il est presque certain que c’est la Clémence qu’il a vue. Il n’y a plus qu’à attendre. Le hasard fera bien les choses. Et comme dans toutes les belles histoires d’amour, ce sont souvent les demoiselles ou les dames qui prennent l’initiative…

Voilà donc qu’arrive dans son cockpit, le plus beau cadeau que Otter ait reçu de toute sa vie :

 

« Dans le port de Lorient

Parmi les goélands,

Tu paraissais si grand

Si fort et triomphant.

 

Je voulais t’attirer

Tout au moins essayer,

Te parler d’amitié,

Peut-être me faire aimer.

 

J’étais intimidée,

Dans mes petits souliers,

Je n’osais t’approcher,

Encore moins t’aborder.

 

Je suis un peu joufflue,

Et je sais que mon cul

N’est pas vraiment pointu

Ni mes hanches menues.

 

Je ne saurais te plaire,

Mais ne suis pas amère,

Et je saurais bien faire

Ma vie sans ton aussière

 

Je suis heureuse en mer,

Et puis, sous le ciel clair

J’aime à croire, cher OTTER

Que tu es mon grand frère

 

 

             LA CLEMENCE »*

 

 

« Mon grand frère, mon grand frère ! Facile à dire cela après m’avoir tout émoustillé… » 

 

Gageons que le grand frère n’a pas dit son dernier mot et regrettons ensemble que l’on ne puisse conclure :

ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants !

                                                                                 

 

Jean LUMAYE



[1]Type de bateau inspiré des premiers bateaux de sauvetage norvégiens dessinés par Colin Archer. / 43 est la longueur en pieds soit environ 12,50 m. / T pour traditionnel.

[2] Le grand pavois désigne la décoration des bateaux à l’aide de pavillons qui, avant l’invention de la VHF, servaient à la communication. Ces pavillons se hissent les uns derrière les autres et se répartissent de la poupe (du cul – on peut le dire d’un bateau sans vulgarité - ) à l’étrave en passant par la pomme du ou des mats. Ce grand pavois ne peut être arboré qu’au port et uniquement aux fêtes officielles ou après demande dûment effectuée auprès de la capitainerie locale.

[3]Groupe folklorique breton.

[4]Le beaupré est la pièce de menuiserie (un espars) qui, dans les bateaux traditionnels, prolonge la proue au-dessus de l’eau. Synonyme : bout-dehors.

* publié avec l’aimable autorisation de Renaud LEVACHER, propriétaire de La Clémence et auteur de ce beau poème.

Mille milles sur les traces du Prestige...

Mille milles sur les traces du Prestige…

 

Que de souvenirs demeurent intacts lorsque nous évoquons notre croisière en Galice ! C’était en 2002, avant la catastrophe. Toujours au départ de Lorient, nous avions croisé jusque Bayona puis caboté pendant un mois vers le nord par petits bords de près jusqu'au cap Finisterre. Débarquant à Portosin, nous avions visité Saint Jacques de Compostelle par ce que l’on appelle par tradition « le chemin des anglais ». Cette belle région de Galice et ses sympathiques habitants nous avaient accueillis au sein d’une nature magnifique et jalousement protégée. Aux Iles Cies, pour raisons écologiques, notre chienne Ondine avait même été refoulée à bord par les autorités insulaires. C’est donc sans elle que nous avions visité cet environnement paradisiaque. Nous étions toujours sous le charme lorsque la terrible marée est venue semer la désolation. Nous étions écoeurés. Notre rancœur était omniprésente lorsque, avec nos enfants, nous nous sommes joints aux bénévoles pour récolter sur les plages bretonnes de Pénerf les résidus de ce terrible gâchis. L’année suivante, hormis notre escale à La Coruna au cours de notre retour de Flores (voir LN n°387),  nous avons évité de croiser dans ces eaux polluées. Déjà lors de cette dernière visite, nous avions pu constater les dégâts économiques de cette tragédie tant humaine qu’écologique. Le port semblait en léthargie. Nous ne pouvions que nous apitoyer sur le sort de tous ces pêcheurs désoeuvrés ou contraints de quitter leurs familles pour de beaucoup plus longues périodes, obligés qu’ils étaient d’aller chercher bien loin ce qui, quelques semaines avant le drame, se trouvait dans leurs merveilleuses rias.

Cette année, nous avions décidé de pousser plus loin vers le Sud et de visiter le Portugal, Lisbonne puis la côte Algarve. Tous documents utiles à bord, nous quittons nos quartiers d’hiver lorientais le 2 juillet 2004. Vent du sud ouest. Nos deux adolescents sont à bord et nous sentons que leur motivation pour nous accompagner en croisière est de moins en moins forte. Ils ont maintenant 15 et 16 ans. Avant de larguer les amarres, les copains manquent déjà ! Le vent refusant de nous accorder une route directe, nous décrirons une grande courbe dans le Golfe. A mi-chemin, nous laisserons le Plateau de Rochebonne par le travers bâbord ! C’est dire si cette année nous sommes vraiment rentrés dans le Gascogne. À partir de là, le vent tournera à l’Ouest puis au Nord-ouest ce qui nous permettra d’infléchir notre route vers le cap Finisterre et d’atterrir vent arrière à CARINO (43°44N 07°51W) quelques milles à l’est de LA CORUNA après trois jours d’une traversée sans problème et marquée par la rencontre avec un rorqual commun de belle taille : deux fois la longueur de l’Otter II !

 La plage de Carino est superbe. Aucune trace de pollution.Nos ados se baignent dans une eau cristalline mais néanmoins assez fraîche. La température de l’eau est, disons, bretonne ! Une petite vingtaine de degrés. Peu enthousiastes à l’idée d’augmenter la distance nous séparant de notre port d’attache et arguant du fait que notre inquiétude concernant l’état de l’environnement était partiellement levée, les enfants freinent le départ et insistent pour prolonger ces instants de farniente qu’ils préfèrent au rythme des quarts. Après concertation, mon épouse et moi décidons de modifier nos plans pour adopter un « compromis à la belge » qui nous permettra de poursuivre notre croisière tranquillement en donnant l’impression aux enfants que nous entamons déjà le retour ! Nous ferons route vers l’Est à la découverte des beaux petits mouillages de la côte nord de l’Espagne et remettrons à l’année prochaine notre projet portugais. J’avais déjà envisagé cette option et m’étais procuré le guide d’Alain Rondeau correspondant. L’ennui, c’est qu’il est resté en Belgique ! Il faut donc se débrouiller pour se le procurer sur place car sans lui ou l’équivalent, difficile d’inventer ces petits mouillages sympathiques que nous apprécions tant. Fort heureusement, je dispose de la cartographie électronique de détails Mapmedia  achetée en 2002 couvrant la première partie de notre route, d’une carte papier du Sud Gascogne et… du guide du routard pour le Nord de l’Espagne. De plus, j’ai toujours le pavillon de courtoisie basque (indispensable si l’on veut de faire bien voir des autochtones !) que ma belle-sœur, vivant en Espagne, m’avait déjà procuré pour parer toute éventualité.

Dès que possible, il faudra donc se procurer des instructions nautiques. Je pense qu’il y aura un maximum de chance que ce soit le guide en anglais de chez Imray : « South Biscay » et que nous ne le trouverons qu’à GIJON (prononcer rirone). Avec des informations glanées ci et là auprès de plaisanciers de rencontre que je remercie au passage, je planifie nos prochaines étapes en tenant compte d’une part, des prévisions météo qui nous annoncent des conditions anticycloniques c’est-à-dire, vent faible de secteur est pour plusieurs jours et, d’autre part, de nos 2 mètres 10 de tirant d’eau… sans oublier bien entendu de consulter le guide du routard. Je sélectionne Vicedo (43°46’N 07°40’W) dans la Ria del Barquero, Cillero (43°43’N 07°31’W) dans la Ria de Vivero (prononcer bibero), Ribadeo (43°33’N 07°02’W) dans la Ria du même nom et Puerto de Cudillero (43°34’N 06°09’w). Un seul mouillage payant ce qui nous permettra de concentrer notre budget sur les plaisirs de la table ! Soit dit en passant, notre port d’atterrissage, Carino nous a permis de nous amarrer sur ponton (voir photo 1) certes sans eau ni électricité mais gratuitement ce qui est, il faut le souligner, assez rare. Au fond de la magnifique ria del Barquero, nous mouillons au Nord du môle du Porto de O Vicedo et débarquons. Nous découvrons un port assez désert et fort peu accueillant. Pas  un touriste, ce qui n’est pas pour nous chagriner mais en ce qui concerne les autochtones, à croire qu’ils sont tous à la messe… Pas un chat dans les rues ! Pas de petits restos sympas où manger des tapas. Juste un super marché fort peu fréquenté où nous achetons de quoi compenser à bord le manque d’accueil rencontré ici. Seule Ondine, ses besoins naturels satisfaits, semble contente de la visite ! Quant à nous, on resaute dans l’annexe, levons l’ancre et la redéposons sous le vent de la Pointa Congreira, un peu plus au Nord où nous bénéficierons d’un mouillage idyllique. Le soleil est au rendez-vous. Les enfants partent en annexe découvrir un tas de petites grottes stimulant leur aventureuse imagination. Ils nous rapportent avec enthousiasme des photos d’une petite plage de sable fin cachée au fond de l’une d’entre elles.Le lendemain, après une navigation de trois petites heures voile-moteur, nous découvrons la ria de Vivero et mouillons en face de la « Playa del Covas », à l’abri du môle du port de Cillero. En annexe, nous remontons le Rio Landrove jusqu’au port de Vivero et, l’estomac dans les talons, partons à la découverte de la vieille ville. Une fois rassasiés dans un sympathique restaurant (il n’y a qu’en Espagne que l’on a une chance d’être accueillis pour déjeuner à 16 heures !), nous pénétrons dans des ruelles dont le charme n’a d’égal que la qualité de conservation des vieilles pierres. Le village nous livre son âme tant les murs transpirent un passé prestigieux. Des maisons d’un autre âge, une église magnifique exhibant ses cloches et semblant sortie d’un film de Sergio Leone. Adossé à cette église, un cloître caractéristique avec son sas lugubre (photo n°3), seul lien des reclus avec le reste de l’humanité. Les enfants s’interrogent sur l’utilité de ce sas et ce choix de vie. On tente des explications. Est-ce véritablement un choix ? Ces réflexions nous laissent perplexes… Fort heureusement, nous sommes rapidement repris par le charme des ruelles, des petits bars sympas…  La vieille ville est animée mais sans excès. Des gamins exubérants jouent dans les rues, la vie semble s’écouler douce et simple. Seule ombre au programme, les prix ! On est loin de l’Espagne où mes parents m’emmenaient en vacances pour faire des économies. L’euro s’est installé ici comme chez nous avec l’arrondi vers le haut et tout notre voyage sera organisé sous le signe de l’économie. On fait les marchés, Marjo s’ingénie à copier la cuisine locale avec les moyens du bord et on fréquente le moins possible les ports payant. Ainsi, nous limitons les dégâts tout en ne lésinant pas sur les opportunités gastronomiques rencontrées. Tout le mois de cabotage pourra être ainsi organisé grâce au peu de difficultés rencontrées pour trouver des abris confortables même par vent d’est ! Revenus de notre visite, nous nous déplaçons pour mouiller au Sud de l’Insua d’Area où nous passerons une nuit très confortable face à deux magnifiques plages de sable fin dénuées de toute trace de pollution mazoutée. Cette pollution, nous la traquerons tout au long de notre progression vers l’Est et jusque là, mises à part quelques traces sur des roches particulièrement exposées au ressac, nous n’avons rien constaté. Questionnés avec notre mauvais espagnol et bien que le sujet semble déranger, les autochtones nous disent chaque fois avoir été épargnés.

Le 13 juillet, après avoir taquiné mon épouse sur ses inquiétudes concernant les risques de passage de notre Otter II sous le pont (hauteur 30 mètres) précédant l’entrée du port, nous atterrissons à Ribadeo (43°33’N 07°02’W). C’est une jolie marina assez récente mais dotée d’un personnel stylé et accueillant. Pontons tout neufs sans encore d’eau ni électricité. Les ouvriers s’activent pour les futurs aménagements. Vue du port, la ville, accrochée à la colline assez pentue, attire le regard. De majestueuses bâtisses d’aspect assez délabré, jalonnent notre escalade vers le centre. Ici, ce qui n’est pas à vendre est en cours de restauration grâce à la subsidiation européenne (photo n°4). Les enfants, comme nous, apprécient. L’architecture respire la gloire passée, l’opulence. Les demeures sont spacieuses, ouvertes vers la ria et nous remarquons que si l’on monte, quelles que soient les rues empruntées, on arrive à la grand place, le contraire nous conduisant immanquablement au port. Chaque itinéraire contient son lot de curiosités et nos déambulations dans ces jolies ruelles sont pour nous un véritable délice. Il en sera de même pour presque toutes les villes ou villages visités. La côte étant partout assez élevée, toutes nos visites seront une véritable partie d’escalade.

 Un quidam assez âgé, attentif à nos discussions concernant un bon endroit où manger nous interpelle en français : « Bonjour ! Est-ce que je peux vous aider ? » D’abord méfiants, nous entamons la conversation et apprenons que le Monsieur en question est un camionneur rentré au pays pour une retraite bien méritée et qu’il est déjà venu tout près de chez nous, en Belgique, pour livrer des marchandises. Notre rencontre lui évoque manifestement de bons souvenirs car il ne tarit pas d’éloges pour l’accueil qu’il a reçu dans notre pays ! Il semble disposé à nous rendre la pareille et nous propose de nous conduire dans un bon endroit où déjeuner. Optant pour la confiance, nous ne serons pas déçus, un peu plus encore convaincus du bon goût des routiers concernant les bonnes tables !

Poursuivant notre route vers l’Est, nous nous arrêterons encore à Cudillero (43°34’N 06°09’W), dernier port avant Gijon. L’entrée, étroite, est assez tortueuse et je me félicite de l’emprunter par temps calme et à marée basse. Nous pouvons ainsi découvrir ses difficultés et nous faufiler sans problème  jusqu’à l’aire de mouillage assez réduite (photo n°5). Certes des bouées sont libres dans la zone des corps-morts mais je rechigne toujours à squatter des bouées non marquées « V » et qui, de ce fait, ne semblent pas m’être destinées… Je mouille donc mon ancre. Avec un voisin anglais, nous serons les deux seuls à pratiquer ainsi. Tous les autres plaisanciers seront moins scrupuleux et frapperont leurs aussières sur le premier corps-mort trouvé. Tant pis si on dérange ! Cela  semble une pratique malheureusement (c’est mon point de vue qui dénote quand même une petite pointe de jalousie ! Eux, ils osent !) de plus en plus répandue… Descendus à terre, nous serons surpris par le contraste avec Ribadeo. Autant cette ville est peu touristique (elle marque pourtant la frontière entre la Galice et l’Asturie), autant Cudillero draine une multitude de touristes pour la plupart espagnols. Nous découvrons des bars à tapas très fréquentés où le cidre est servi de très haut à la manière asturienne (photo n°6), des boutiques de souvenirs, de la musique, bref une animation caractéristique des mois d’été dans une cité balnéaire. C’est le Week-end ! L’animation culminera,  malheureusement pour la qualité de notre sommeil, entre minuit et 6 heures du matin, le port se transformant en véritable discothèque à ciel ouvert. Boules Quiès de rigueur ! Pendant la journée, nous effectuerons de véritables escalades dans les ruelles composées presque exclusivement d’escaliers tant les pentes sont fortes.Par moments hésitants quant à notre itinéraire qui semble nous emmener  à l’intérieur des propriétés, nous sommes encouragés à poursuivre notre chemin par d’adorables vieilles espagnoles qui nous indiquent avec une gentillesse incroyable le chemin à suivre. Essoufflés, nous nous demandons dans quel état ces personnes âgées rentrent de leurs courses après de telles escalades car ici, aucun accès n’est possible en voiture… Mais, dans le fond, peut-être est-ce là le secret de leur apparente bonne santé ?

Après deux nuits chahutées, nous décidons de poursuivre notre route vers Gijon où, après une petite cinquantaines de milles au près serrés puis au moteur, d’aimables voisins de pontons français nous prennent les amarres. On en profite pour faire le plein d’eau et un dessalage complet du bateau. Nos réservoirs étant presque vides, nous les remplissons de 600 litres ce qui nous autorise à penser qu’une partie des 30 € réclamés pour la nuitée fut ainsi amortie ! Ville peu enthousiasmante, Gijon (43°334N 05°404W) nous aura permis de nous procurer les fameuses instructions nautiques constituant l’objet principal de notre visite. Sans regrets, nous larguons les amarres pour rallier le petit port de Lastres (43°314N 05°154W). Sympathique sans plus, ce port nous aurait servi uniquement d’étapes et serait passé presque inaperçu s’il n’avait été marqué par la rencontre d’un sympathique équipage français venu mouiller à une encablure de l’Otter II. A bord, une charmante jeune fille de l’âge de François. Vous épargnant les rapides travaux d’approche de mon équipage d’adolescents en manque de camarades, je signalerai simplement que la soirée fut passée sur la plage à refaire le monde, que le lendemain matin, les adresses furent échangées et que, à peine revenus en Bretagne, François et Julie (C’est le prénom de la jeune et jolie française) se sont revus. Cela me pousse à me demander par ailleurs si « camarade » était bien le bon mot !

Recherchant depuis notre atterrissage en Espagne un endroit où plonger et disposant maintenant des instructions nautiques et des deux cartes couvrant le restant de notre parcours, je repère un charmant petit mouillage à moins de deux milles de Llanes, Ensenada de Póo (43°25’N 04°47’1W). Nous y mouillons l’ancre par 10 mètres de fond et découvrons un environnement magnifique. Déplorant néanmoins quelques résidus mazoutés sur les parois des roches qui nous entourent, la présence d’un chasseur sous-marin nous rassure. Il doit  quand même y avoir du poisson ! Remettant notre plongée pour l’étal de marée haute du lendemain, nous partons en annexe à la découverte du petit port naturel invisible de l’endroit où nous nous trouvons. On n’en aperçoit encore que l’entrée. Nous pénétrons dans un boyau étroit d’une quinzaine de mètres et, au détour d’une courbe, nous entrons dans un autre monde : une petite plage magnifique de sable doré baignée d’une eau cristalline et calme (photo n° 7). Tout cela serait idyllique sans les dizaines de baigneurs qui observent notre arrivée comme une intrusion dans leur domaine réservé ! Des regards à la limite de l’hostilité nous poursuivent malgré la précaution que nous avons eue de stopper immédiatement le moteur et de continuer à la rame en nous écartant des baigneurs. Dommage ! On peut néanmoins comprendre qu’un tel endroit soit jalousement protégé. Après être descendus à terre et nous être procuré le nécessaire pour notre avitaillement, nous repartirons discrètement, comme nous étions venus, sans demander notre reste. On peut imaginer qu’un passage hors saison risque de laisser un meilleur souvenir… Le lendemain, la plongée sera assez terne… beaucoup de courant malgré l’heure de l’étal dont la précision doit être perturbée par la vidange de la petite ria voisine. Pas ou peu de poissons, si ce n’est quelques seiches. Est-ce dû à la marée noire ou à la chasse intensifiée par le nombre de vacanciers fréquentant le site ? La question est restée sans réponse. Une autre également qui concerne les dauphins : pas un seul ne croisera notre sillage pendant ce bon mois de navigation. Malchance, filets dérivants, marée noire ? Pourquoi pas un peu des trois…

La houle rentrant dans ce magnifique mouillage et la pauvreté des fonds sous-marins nous invitent à poursuivre notre cabotage vers l’Est. 18 nautiques seulement ! Nous avançons vraiment par de véritables sauts de puce. Il est vrai que les conditions anticycloniques perdurent  ce qui nous contraint à allonger considérablement la route. Nous tirons de longs bords de près par petite brise ce qui ne constitue pas un avantage pour notre Otter II. Pour qu’il soit à l’aise, il lui faut du vent et force est d’admettre que, depuis notre atterrissage sur la côte espagnole, celui-ci nous fait cruellement défaut. Nous entrons à San Vicente de la Barquera (43°244N 04°234W) à marée basse. Les conditions atmosphériques étant idéales, nous nous positionnons  à mi-distance des deux digues qui protègent l’entrée du port. Les instructions nautiques (Imray) indiquent une profondeur minimale de 3,6 m ce qui nous laisse de la marge et nous permet de progresser sans appréhension. À peine avancés de 200 mètres entre les digues, nous talonnons ! Heureusement, c’est du sable… Guide en main, je vérifie la profondeur minimale : 3,60 m. Nos 2,10 m de tirant d’eau nous font pourtant toucher le fond ! L’Otter II, moteur à 3000 tours, charrue la vase et poursuit ainsi vaille que vaille sa progression vers le port et ce n’est que à la hauteur des premières habitations qui se dressent sur la droite du chenal que notre quille retrouve sa liberté. Ouf ! Il s’en est fallu de peu que nous soyons obligés d’attendre le flot pour poursuivre notre route… Comparant plus tard les données Imray avec celles du Pilote côtier d’Alain Rondeau, nous constatons que les sondes aux plus basses mers sont plus proches de la réalité dans le second ouvrage : 3,50 m à l’entrée du chenal puis 1,50 m, 1,70 m et jusqu’à 0,60 m à l’approche des mouillages ! Nous en conclurons qu’il convient toujours de se ménager une large marge de sécurité en choisissant, dans la mesure du possible, de rentrer au port à mi-marée montante plutôt qu’à basse mer. Quant au mouillage dans le lit du chenal, il se situe aux abords d’un réseau de corps-morts et à un endroit peu profond où le courant de mi-marée devient particulièrement fort. La vase n’offrant pas une bonne accroche, cela nous a contraints à plusieurs manœuvres d’ancres que nous aurions pu éviter en nous amarrant tout simplement au quai des pêcheurs situé dans le fond du chenal d’accès. Moralité : le souci de ne pas déranger peut parfois se retourner contre soi ! À méditer… Ces petites tracasseries de mouillage oubliées, la découverte de la ville (photo n°8) fut un véritable régal dont la visite du château et le magnifique point de vue que l’on y découvre sur la ria sont les points d’orgue. Le soleil était de la partie. Les enfants étaient ravis !

Prochaine étape : Santander (43°29’N 03°46’W). Une belle ville certainement trop fréquentée en cette saison. De fait, plus une seule place ni dans le port, ni sur les corps-morts du club, occupés ou réservés pour les concurrents de la régate du Prince des Asturies qui se déroulait en plusieurs manches ce week-end-là. Un des employés du club nous conseille très aimablement de mouiller notre ancre à proximité du club sous le regard curieux des célèbres plongeurs en bronze (photo n° 9). Il nous autorise à utiliser leurs installations gratuitement (débarquement et possibilité de se doucher). Il nous est demandé cependant de ne pas nous attarder lors de notre passage avec notre chien qui est ici, comme dans la plupart des établissements espagnols, tout juste toléré[1]. Hormis la vieille ville dont la visite nous laissera un merveilleux souvenir, relevons la visite du musée de la marine qui vaut vraiment le détour.

Quant aux points négatifs, je vous passe les détails des excentricités nocturnes d’un équipage arcachonnais passablement éméché s’exerçant à des prises de coffres entrecoupées de slalom à vive allure à travers la zone de mouillage où tout le monde dormait. Ils agrémentaient leur déambulation de cris de guerre scandés en rythme et avec un enthousiasme que seul mon avertissement d’en informer leur sponsor a pu stopper. Une idée à retenir d’ailleurs qui confirme que, chez certains, heureusement peu nombreux dans le monde de la plaisance, les seules valeurs ayant encore du crédit sont celles en rapport direct avec d’éventuelles sanctions financières !

Le lendemain, en route pour Castro Urdialles, nous sortons de la baie, cueillis par un nordet bien établi de force 6. Un premier bord de petit largue tout dessus nous permet, au sortir de la baie, de nous rendre compte que nous faisons jeu égal avec les concurrents de la régate qui disputent la dernière manche du W-E. Il est vrai que notre HC43T ne donne vraiment le meilleur de lui-même que dans ces conditions de mer et de vent.  Et je me surprends à espérer pouvoir griller, ne fut-ce que sur un bord au débridé,  mes chambardeurs de la nuit… Il faut dire que cette petite vengeance aurait relevé du plus pur des hasards. Malheureusement, nous devrons infléchir notre route et prendre un ris pour poursuivre en serrant le vent mais non sans avoir talonné très sérieusement un des concurrents qui se demande peut-être encore aujourd’hui ce qui lui est arrivé !

Castro Urdialles (43°23’N 03°12’W) mérite une mention spéciale. C’est le port qui, de tous ceux que nous aurons fréquentés au cours de notre croisière cantabrique, nous aura réservé le meilleur accueil. Certes, nous sommes au mouillage mais l’abri est sûr et il y règne un calme plat.  Une, voire plusieurs navettes aux heures de pointes et jusque tard dans la nuit, sillonnent la zone et offrent leur service gratuitement. La jeunesse locale est très motivée par les joutes nautiques régulièrement organisées dans la rade. Nous assisterons à l’entraînement quotidien des équipages qui, leur journée de travail terminée, oublient leurs soucis en souquant ferme sur les avirons de ces magnifiques et rapides yoles de mer. Un beau et puissant spectacle qui doit trouver son apothéose lors de la fête de la mer qui se déroule le 16 juillet, malheureusement, quelques jours avant notre passage !

 Nous sommes le 29 juillet et notre rendez-vous aoûtien avec la Bretagne s’impose de plus en plus comme incontournable. Les enfants s’impatientent vraiment et pour qui sait combien la demande de deux adolescents peut se faire, disons, pressante, il n’est point difficile de comprendre que l’étrave de l’Otter II va bientôt devoir se diriger vers le Nord. Après une dernière et brève escale dans le port de Lequeito (43°23’N 02°304 W) d’où nous ne retiendrons que la gentillesse des marins locaux qui partagent volontiers le quai avec les marins de passage, nous visiterons enfin la magnifique rade de San Sebastian (43°20’N 02°00’W), très encombrées en cette fin de mois de juillet. À l’approche de cette magnifique côte protégée par l’Isla de Santa Clara, la mer est d’huile. Çà et là, des miroitements inhabituels attirent l’attention des enfants. Je mets en panne et, progressant sur l’erre, infléchis ma route vers ces mystérieux signaux. Nous découvrons alors avec émerveillement, la présence d’une compagnie de poissons lune (photo n° 10) de belles tailles qui, remontant vers la surface, semblent se prélasser au soleil. L’enthousiasme est au rendez-vous. Les enfants n’en croient pas leurs yeux et Ondine, confondant poissons lune et dauphins, aboie de bon cœur ! L’appareil photo mitraille.

Le lendemain à midi, les courses faites, les enfants savent que le grand moment du retour est arrivé. L’annexe est dégonflée et rangée, le bateau préparé pour une vraie navigation de traversée. Avec entrain, tout l’équipage s’affaire avec une motivation soudain retrouvée ! Après deux nuits de navigation entrecoupées d’une escale sur l’île d’Oléron que nous n’avions pas encore visitée, l’Otter II retrouve les eaux de la rivière de Pénerf, la coque exempte de toute souillure mazoutée. Il prend ses quartiers d’été, fier d’ajouter mille milles supplémentaires à ce beau sillage qui ne laisse pas d’émerveiller  son équipage. Quant aux enfants, sans attendre les services de l’annexe qu’il faut regonfler, ils plongent et s’en vont sans plus attendre, à la nage, retrouver tous les amis venus les accueillir sur la cale…



[1]Pour info, la loi espagnole les interdit dans les restaurants et cette loi est partout scrupuleusement respectée.

16:15 Écrit par Otter2 dans Articles publiés | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |

Santa Maria (article pour LN jamais terminé !!!)

Santa Maria, l’île oubliée…

C’est déjà notre troisième croisière aux Açores. La première (LN n° ?) nous avait permis de

découvrir le groupe central des îles de l’archipel des Açores ainsi que Sao Miguel qui fait

partie du groupe oriental. Nous étions revenus en nous réservant Santa Maria pour une autre

fois. La deuxième croisière avait pour but la découverte de Flores, île enchantée par

excellence qui nous laissa un souvenir impérissable ancré par une somme d’aventures qui

nous firent rencontrer des personnages hauts en couleurs. C’était en 2003. Flores et ses

habitants nous offrirent une amitié sincère et vraie dont les adieux constituèrent le feux

d’artifices (LN n° ?). Emportés par l’enthousiasme de deux français ayant posé leur sac làbas,

Alain & Anita, nous ne pûmes rendre visite à la plus petite, Corvo. Peut-être y

retournerons-nous un jour ?

Il restait Santa Maria à découvrir. Nous avons donc largué nos amarres à La Roche-Bernard le

3 juillet en fin de journée. La météo est mitigée pour traverser le Golfe mais les prévisions à

5-7 jours ne nous encouragent pas à attendre. Le vent, établi à l’ouest va bientôt tourner vers

le S-O ce qui est loin de nous arranger ! Nous sommes donc cueillis à la sortie de la Vilaine

par une méchante brise d’ouest de 20-25 noeuds, rafales à 30 qui soulève une mer hachée très

inconfortable ! La croisière s’annonce musclée et les estomacs commencent déjà à rouspéter.

Grand voile et trinquette bordées à plat, nous quittons le Plateau de la Grande Accroche et

nous dirigeons vers les Grands Cardinaux au N de Houat. C’est à la nuit tombante que nous

observons les lumières de Belle-île disparaître à l’horizon. Le ciel est chargé de pluie, la nuit

s’annonce noire et peu engageante. Les vestes de quart sont sorties, les harnais et gilets de

sauvetage capelés. Le radar nous aide à veiller… Le vent d’O tourne au S-O et nous contraint

à renter dans le Golfe plus que nous ne le souhaitions car les prévisions à 5 jours nous

donnaient déjà des vents du N à l’approche du Cap Finistere ce qui nous avait laissé espérer

de pouvoir infléchir notre route vers les Açores dès que possible et éviter La Corogne, escale

incontournable pour mes enfants (Il y a là-bas un glacier exceptionnel) – Ah oui, j’avais

oublié de vous dire que cette année encore, malgré l’adolescence qui s’installe, notre fils

François (19 ans) et notre fille Manon (17 ans) ont tenu à nous accompagner. L’attrait de

l’Archipel a été plus fort que les velléités d’autonomie ! Ce sont les vents qui ont décidé…

Après 3 jours de mer à la voile, le plus souvent au près serré et parfois appuyé par le moteur,

nous sommes arrivés devant La Corogne. Inutile donc de résister, nous y faisons escale pour

le plus grand plaisir de l’équipage, déjà fatigué par cette allure de près qui n’a pas son pareil

pour saper le moral des troupes ! Notre bateau, un Hans Christian 43T, est un champion aux

allures arrivées mais déteste se mesurer au vent. Je pense qu’il partage en cela l’avis de

nombreux plaisanciers !...

Le lendemain en soirée, il est 20h30 quand nous contournons la tour d’Hercule et pointons

notre étrave vers l’ouest. Le vent est NNE. Le pied ! Le spi est sorti et l’Otter II fonce à 8

noeuds vers sa destination. Pendant 5 jours, le vent restera établi entre F3 & 5 du secteur N.

Pour nous, c’est l’allure royale : notre bateau ne demande que cela, beaucoup de vent bien

orienté et la croisière prend sa vraie dimension ! On bronze, on pêche, on lit, on dort… La

belle vie, quoi !

Les deux derniers jours de traversée seront moins amusants : le vent refuse et nous oblige de

faire à nouveau appel à notre moteur, ce qui est, reconnaissons-le, beaucoup moins amusant…

Le 13 juillet en début de matinée, nous apercevons dans la brume, les premiers contreforts de

Santa Maria. Vers midi, nous sommes arrivés. Il est 10 heures locale soit l’heure TU. Le

voyage aura donc duré 11 jours, escale d’un jour comprise à La Corogne

16:12 Écrit par Otter2 dans Articles publiés | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |