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08/08/2018

Mise à jour 29ème jour...

29ème jour de mer. Ma capitaine me rappelle que nos rapports de mer sont en retard ce dont je ne me rends pas compte du fait que j’écris beaucoup pour communiquer par courriels satellitaires. Je m’aperçois que l’isolement commence par renforcer la communication avec la famille et les amis proches. Marjo, comme moi, sommes à l’affût pour recevoir des nouvelles plutôt qu’en donner, surtout lorsque à bord, tout va bien ! Nous nous apercevons que notre motivation d’écriture est conditionnée par notre soif de lecture (de news car les bouquins sont ici dévorés de manière gargantuesque !) ! Nous ou plutôt je découvre une piste d’ouverture vers mon besoin d’utilisation des réseaux sociaux qui me font défaut ici.
Des nouvelles du monde, nous n’en recevons que de la famille et des amis qui ne peuvent comprendre ce besoin d’être reliés à nos racines. Avec Facebook, point n’est besoin d’envoyer pour recevoir. C’est une des raisons de son succès. On a des nouvelles de tout le monde et de personne. On croit compter pour certains amis qui, pourtant, ne s’interrogent pas pour savoir ce que vous devenez quand vous clôturez votre compte. J’en ai fait l’expérience ! Les rares amis fb qui font la démarche pour vous retrouver sont les seuls pour qui vous comptez vraiment (ou pour qui fb compte vraiment…)
Tenir une correspondance demande un effort et notre monde d’images détruit progressivement notre capacité à le faire. Instagram, whatsap, les sms, favorisent l’utilisation de pictogrammes en remplacement de l’écriture et cela est vraiment dommage. Je m’en rends particulièrement compte avec mes enfants qui, lorsqu’ils nous écrivent, partagent avec nous des émotions que le quotidien a tendance à diluer dans le flot de la communication actuelle qui tend à se faire brève, pragmatique et, quelque part bien moins personnelle. L’écriture concentre les sentiments mais demande d’y consacrer du temps ! A courir à longueurs de journées après lui, conséquence de nos conditions de vie moderne, la possibilité de se poser devant son clavier et de prendre ce temps appartient désormais au domaine de l’exception. A un autre niveau, cela me rappelle la réflexion d’un ami à qui je m’excusais de lui écrire un manuscrit faute d’un ordinateur opérationnel : « Mais Jean, saches que recevoir, de nos jours, un courrier manuscrit et qui plus est, de toi, est pour moi un privilège ! ». Il avait raison. Qui a encore dans son bureau du papier à lettres, des enveloppes et des timbres ? Moi, vous dirai-je, mais n’est-ce pas uniquement parce que j’ai manqué un arrêt dans la course vers l’inéluctable progrès…
Cette digression à propos de la communication me ramène à ce rapport de mer. Qu’en dire, sinon répéter qu’il y aura bientôt un mois que nous n’avons plus vu âme-qui-vive ; que la Terre a disparu de notre horizon ; qu’aucun bateau n’aie été repéré par notre radar qui porte à une bonne vingtaine de milles tout autour de nous ! Rien, la VHF est silencieuse. Question conditions de navigation, nous ne pouvons pas dire qu’elles furent idylliques sans cependant que l’on puisse déclarer avoir essuyé des tempêtes. N’empêche, l’alizé, dixit un copain bateau, amiral retraité de son état, l’alizé est particulièrement musclé cette année !
Nous avons en effet passé plusieurs journées au bas ris et trinquette seule, naviguant fort heureusement travers à un vent stabilisé à 35 noeuds en dehors des rafales qui ont fait grimper l’anémomètre à 47 ! Vous imaginez facilement dans quel état était la mer !!! C’est donc, vous l’aurez compris, dans des conditions assez sportives que nous découvrons le Pacifique… En 29 jours, des dépressions annoncées par la météo, nous ont contraints à modifier notre route à deux reprises, renonçant successivement à Rapa Nui (l’île de Pâques) et ensuite  à Pitcairn. Remarquons qu’il nous aurait été possible de les atteindre en toute sécurité mais la connaissance des difficultés de mouillage dans ces îles oubliées du monde a orienté notre choix. Nous sommes donc en route vers l’archipel des Gambier où nous savons qu’un havre de repos nous attend. 700 nautiques nous en séparent encore, un saut de puce au regard des bons 3000 milles parcourus déjà depuis la côte sud américaine ! Je ne vous cache pas que je me réjouis d’y jeter notre ancre afin d’enfin souffler et de pouvoir nous octroyer, après un mois de veille attentive, une vraie nuit complète de sommeil !!! Actuellement, le vent souffle du secteur ESE à ENE entre 10 et 15 noeuds. Nous naviguons au portant sous yankee tangonné (trinquette et gd voile sont actuellement au repos) poursuivis par une mer bien creusée. Certaines lames accentuent un roulis qui reste agréable en dehors de ces effrontées qui secouent bien, tant l’équipage que le contenu de l’Otter dont tous les objets capables de prendre un imprévisible envol ont été arrimés (des sandows ont ainsi fleuri un peu partout ainsi qu’une organisation « spéciale vent arrière » pour la cambuse). Hors de question pour ma capitaine de zapper un repas chaud ! C’est donc en perpétuelle recherche d’équilibre qu’elle cuisine. On peut dire que les conditions de travail sont assez surréalistes  mais comme aucun syndicat n’est ici pour faire cesser cela, nous faisons avec.
Je termine en faisant référence à la chanson de François Degueldre :

 Il y a le ciel,
le soleil et
la mer…

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