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08/04/2018

1 avril 2018

Passage du canal de Panama

Samedi 31 mars 2018. La pression monte. Notre agent nous a annoncé notre passage pour demain 1er avril. Nous avons choisi Eric Galvès. Espérons qu’il ne nous fasse pas le coup du poisson ! Nous ne serions pas les premiers devant nous adapter à un changement de dernière minute…
La semaine passée, nous l’avons consacrée à une minutieuse préparation du bateau. Niveau d’huile moteur. Check. Feux de navigation. Check. Feux de hune. Check. Aussières d’appoint avec un oeil dûment épissé à la bonne longueur. Check. Corne de brume. Check… Nous allons recevoir trois « handliners »  et un « advisor » à bord. Il faut les nourrir et prévoir deux journées à bord soit trois repas pour 7 personnes + petits en-cas. Cela prend de la place dans le frigo d’autant que certains « advisors » sont difficiles (ceci pour les bruits de ponton dont Marjo et moi ne sommes pas trop friands…). Nous savons par expérience que lorsqu’on les accueille avec courtoisie, les gens ainsi reçus vous rendent votre courtoisie pour le plus grand plaisir de tout le groupe créant ainsi les meilleures conditions possible pour le « travailler ensemble » dans une bonne ambiance). C’est ce qui s’est passé. DSC00317.JPG
L’agent venu prendre toutes informations nécessaires au travail administratif qu’il comprend dans son tarif d’accompagnement au passage, nous informe de manière très pédagogique de la manière dont il va l’organiser. Il parle un bon anglais et Marjo, une fois la glace rompue, s’autorisera à s’essayer en espagnol ce qui eut l’air de lui faire plaisir… Il faut souligner qu’il s’était tout d’abord adressé à moi dans sa certitude que seul un homme pouvait être le capitaine et ce n’est que lorsque je lui ai annoncé que je ne l’étais pas qu’il s’adressa à Marjo, non sans étonnement… Nous avions déjà reçu la visite du mesureur qui, dès les premières réponses à ses questions, enregistra que Marjo répondait du tac au tac : le pas d’hélice, la puissance du moteur, la vitesse de croisière maximale bref un fatras d’infos pour lequel Marjo fit un sans fautes, amenant le mesureur à déclarer que tous les capitaines ne connaissaient pas aussi bien leur voilier ! Un beau compliment qui toucha son but. Marjo était ravie et moi , une fois de plus, très fier d’elle. De plus, j’avais ainsi une nouvelle fois bien tiré mon épingle du jeu, mon anglais n’étant pas encore, malgré les énormes progrès réalisés depuis deux ans, à un niveau suffisant pour assurer en ces circonstances. Bref, lorsque nous lui demandons une date de passage, Eric nous fait comprendre immédiatement que il y a toujours la possibilité d’un plan B - ce qui sera vérifié au moment du passage avec le pilote - et qu’il nous tiendra au courant par téléphone au fur et à mesure de l’avancement de sa préparation administrative.
Notre Otter a été mesuré sur place. Ici, pas question d’essayer de tricher ! Nos 43 pieds à la flottaison vont bien vite s’étirer jusque 52 ! Deux pieds qui vont nous coûter cher, la limite entre petits et grands voiliers étant 50 pieds !!! Inscrivez : pas de chance !!! Mais bon…
Le 31, les handliners sont annoncés. A 17h30, nous devrons nous mettre à l’ancre en attente de la venue d’un pilote. A l’heure dite, les amarres sont larguées et nous nous rendons donc au point de rendez-vous au flats de Puerto Cristobal situé à l’entrée du canal. Nous laissons le choix aux handliners de dormir dans le carré ou dans le cockpit. Comme le temps est sec et la température agréable, ils choisiront le cockpit. Ils sont sympatiques et bien élevés, le plus expérimenté des trois étant Juan le beau-fils de l’agent qui n’a sûrement pas placé celui-ci à notre bord par hasard (le café était aussi bon que l’accueil qui lui a été réservé…).
04h20 je me réveille ! Il faut dire que j’ai mal dormi. J’ai écrit quelque part que les « premières fois » sont toujours anxiogènes ! J’avais enregistré que nous devions nous tenir prêts à partir de 04h30, le pilote pouvant être déposé à notre bord à partir de cette heure-là.
« Mais quoi, je rêve ! » Tout mon petit monde dort encore !!! Je sonne donc le branle-bas de combat et quelques minutes plus tard, le café, le thé et les petits pains sont prêts à être distribués lorsque le pilote monte à bord.
 
D’entrée de jeu, le courant passe. Après les présentations, petit briefing et ordre est donné de lever l’ancre. C’est parti. Il est 05h00.
DSC00318.JPGLes écluses vont alors s’enchaîner rapidement. Nous allons les passer à couple d’un remorqueur en alternant la deuxième et la troisième position avec un autre voilier un peu plus long que nous.
Première écluse. Nous suivons un énorme bâtiment chinois immatriculé à Hong Kong. Le remorqueur se fait amarrer juste derrière lui. Au tour de l’autre voilier de se présenter. Petit cafouillage mais cela se passe bien. Les handliners sont bénévoles et les gestes sont quelque peu hésitants. Une fois ce premier voilier accouplé, notre pilote nous donne le signal d’avancer. Manoeuvre d’approche impeccable. Marjo répond instantanément aux excellents ordres de barre du pilote et l’amarrage se fait en souplesse.
Deuxième écluse, c’est à nous de nous présenter en premier à couple du towboat.
Manoeuvre réussie. Nous percevons mieux ici la difficulté : le remorqueur tient ses propulseurs au ralenti afin de se coller contre la muraille. Il crée ainsi des turbulences qui tendent à empêcher l’Otter de venir à couple. Marjo anticipe suivant scrupuleusement les conseils du pilote. Les amarres sont lancées et dûment frappées. La manoeuvre n’a pas pris 5 minutes ! L’autre voilier vient alors gentiment se placer en troisième position et leurs amarres sont passées à nos handliners qui s’activent avec efficacité pour assurer l’amarrage. DSC00326.JPG
Troisième écluse. L’autre voilier part le premier et nous le suivons de loin. Même manoeuvre. Le remorqueur suit le gros bâtiment et se place contre le quai après avoir filé ses amarres. Nous observons alors de loin la manoeuvre de l’autre voilier qui doit venir en premier cette fois (comme dans la première écluse) s’accoupler au remorqueur. Là, on se rend vite compte, alors que nous sommes en approche, que le voilier n’arrive pas à se mettre à couple. L’amarre avant a manqué son but, l’amarre arrière est frappée sur l’arrière du remorqueur et, malgré les tentatives du capitaine de repousser l’avant à l’aide de son propulseur d’étrave, force leur est de larguer l’amarre arrière et de recommencer. Après une grosse frayeur au moment où le voilier s’est mis en travers de l’écluse (v. photo), au risque d’endommager son étrave, le voilier réussit enfin à s’accoupler ! Pffft… Le skipper a dû avoir des suées froides ! Nous apprendrons par la suite que le capitaine n’en étant pas à sa première utilisation du propulseur d’étrave (vraisemblablement lors de la manoeuvre dans la première écluse), il y avait donc vraisemblablement déjà vidé sa batterie et s’est donc retrouvé sans énergie électrique au moment où il en avait le plus besoin ! Au débriefing avec le pilote (qui, nous l’apprendrons par la suite, était instructeur pour la formation des pilotes), celui-ci confirma l’idée qu’un propulseur d’étrave n’est là que pour finaliser une manoeuvre qui est le plus souvent inutile lorsque celle-ci est correctement réalisée. Bien des skippers usent et abusent de cette aide qui, si elle peut s’avérer précieuse dans certains cas, ne doit pas primer sur un judicieux placement du bateau anticipé en fonction du vent, du courant, du fardage, etc… NB : Je ne fais ici que rapporter l’analyse du pilote, n’ayant personnellement aucune expérience avec l’utilisation d’un propulseur par ailleurs absent sur notre Otter qui s’en passe très bien.DSC00325.JPG
La troisième écluse étant maintenant derrière nous, nous nous mettons directement en route vers les trois dernières en traversant le lac Gatum poursuivis par les grands navires qui prennent leur vitesse de croisière (13-15 noeuds) la diminuant seulement pour négocier les quelques virages qu’impose le balisage du chenal ou à l’approche des écluses où ils sont pris en charge par les remorqueurs. A l’exception de l’approche de la deuxième écluse descendante où le pilote nous demanda s’il était possible d’accélérer pour gagner un éclusage, nous maintiendrons la vitesse de 6,5 noeuds tout au long de la traversée.

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Plusieurs mastodontes des mers vont ainsi nous dépasser ou nous croiser, venant vers nous dans l’autre sens. Certains énormes bâtiments notamment ont retenu notre attention, n’en ayant jamais croisé de ce type en traversée. Notre pilote qui était une mine de connaissances maritimes  nous  expliqua que ces bâtiments étaient des transporteurs d’automobiles. Entre 2000 et 3000 véhicules par bateau ! Le temps de notre passage, nous en avons croisé trois ! Après cela, on s’étonnera que la circulation automobile devient un problème partout dans les grandes villes !!!
Certains porte-conteneurs étaient tellement monstrueux que l’on s’est demandé comment on les poussait dans les écluses !!! Une fois de plus nous avons obtenu la réponse de notre Ricardo qui nous rassura en disant que ces énormes navires passaient par les nouvelles écluses aujourd’hui opérationnelles, la norme étant 11 conteneurs de front !!! (v.photo).
A partir de l’approche de l’écluse descendante de Pedro Miguel, les choses vont s’accélérer. Ayant repéré un ferry embouquant le canal un peu devant nous et en ayant eu confirmation sur ses documents, notre pilote nous demande si l’on peut accélérer.DSC00327.JPG Ok, c’est possible. On avait joué la sécurité en donnant 6,5 noeuds de vitesse de croisière mais notre Otter peut faire mieux ! Marjo  poussa donc notre Yan (rappelez-vous, c’est le petit nom de notre moteur) jusqu’à 2800 tours/minute - ce qui est excellent pour décrasser notre turbo - et, surveillant notre pression d’huile et notre t° moteur, nous pousserons ainsi notre vitesse jusqu’à 7,5-8 noeuds en sorte que le ferry fut rattrapé dans la première des trois écluses descendantes. Un voilier était déjà à couple et n’attendait plus que nous qui nous mîmes à couple sans problèmes. C’est ici qu’une explication s’impose pour mieux comprendre la stratégie des pilotes, le nôtre ayant pris la direction des opérations. L’objectif annoncé était de contrer le courant contraire dû à la différence de salinité entre l’eau du lac et l’eau du Pacifique.  L’idée était que la tâche serait facilitée par l’utilisation des deux moteurs fonctionnant de conserve. Naviguer ainsi accouplés fut une grande première pour nous autant que pour l’autre voilier ! Ayant construit notre confiance au cours des dernières heures de navigation, Marjo accepta de tenter le coup et c’est ainsi accouplés que nous fîmes route vers les écluses de Miraflorès, gagnant ainsi un temps précieux. On se retrouvait ainsi transformés en catamaran, un moteur par coque, la différence étant que c’était le pilote qui règlait le régime de chacuns des deux moteurs afin que nous puissions avoir une trajectoire correcte !… L’arrivée dans la dernière écluse et l’amarrage au ferry fut encore le cadre d’une nouvelle péripétie qui mit en avant l’avantage d’avoir à bord des handliners compétents ! En effet, au moment où les voiliers à couple se sont approchés du ferry pour l'amarrage, les gars du ferry lancèrent une ligne légère au bout de laquelle était frappée une pomme de touline (noeud spécial alourdissant le bout d’un cordage pour en faciliter le lancer). L’équipier arrière du voilier voisin put très aisément s’en saisir, la nouer sur l’aussière arrière du voilier qui, rapidement ramenée à bord du ferry permit aux deux voiliers de se rapprocher bord à bord, l’avant ayant néanmoins tendance à se dérober à cause du courant et des « ratés » de l’équiper avant pour passer son amarre. Les moteurs des deux voiliers peinaient à rapprocher la proue du ferry. Ce n’est qu’après deux tentatives de lancers d’amarre avortées que l’équipier d’avant chargé de l’opération arriva à ses fins. Les moteurs peinaient à maintenir les voiliers contre le courant. La troisième tentative fut enfin la bonne ! J’avais déjà remarqué que ce « handliner » peinait à lancer les amarres par manque de technique. Tout bon marin sait qu’il ne faut pas lancer toute la glène d’un seul coup ! Il faut préparer l’amarre afin qu’elle se déroule exempte de noeuds  et en retirer les quelques boucles de longueur suffisante pour tenir la distance séparant le lanceur du receveur (ici le marin du ferry qui s’apprêtait à nous amarrer). Ceci mis donc un point (presque final) aux manoeuvres. Le Pacifique nous attendait derrière les portes de l’ascenseur qui nous descendait au niveau de l’océan. Amarrés comme nous l’étions, nous eûmes le privilège de nous détacher du groupe en premier et de franchir ainsi avec beaucoup d’émotion la porte du Pacifique. Quelques miles plus loin, une barque vint reprendre le matériel mis à notre disposition par notre Eric, notre agent (8 défenses et 4 aussières de 30 m dûment lovées par nos « handliners » contents de terminer ainsi une assistance placée sous le sceau de la confiance mutuelle et de la réussite. Nous prîmes alors congé du pilote qui félicita une nouvelle fois Marjo pour son calme et son efficacité dans les manoeuvres. Tous remercièrent Manon de s’être si bien occupée des estomacs. Une magnifique journée touchait à sa fin lorsque nous passâmes sous le pont des Amériques. Tout un symbole chargé de significations dans nos esprits d’aventures. Une nouvelle page de notre découverte du monde venait de s’ouvrir. 10 heures avaient suffi pour franchir en toute sécurité l’isthme des Amériques. Je pense que ce n’est pas un record mais que nous n’en étions pas loin !

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Les leçons que nous tirons de cette belle expérience :

Faire appel à un agent est le bon choix que nous n’avons regretté à aucun moment.
Choisir Eric Galvès a été judicieux car celui-ci s’est montré d’une parfaite correction tant sur le plan humain que administratif. Il a été réactif à toutes nos questions et attentif à toutes nos demandes.
Le matériel prêté peut, s’il doit être acheté, se révéler fort onéreux et l’utilisation de pneus entouré de t-shirt peut s’avérer malheureuse. Nous avons entendu le cas d’un équipage obligé de passer son tour pour cause de déficience moteur, un t-shirt détaché s’étant pris dans l’hélice ! Oui, je sais, il y en a qui n’ont vraiment pas de chance…
Faire appel à des navigateurs de rencontre qui viennent à votre bord pour vous aider mais surtout pour faire taire leur anxiété devant une situation inconnue, comporte le risque d’avoir à son bord des « handliners » de pacotille se plantant au premier passage d’amarre. Les risques sont alors grands de dépenser en réparations diverse une économie en définitive peu rentable.
Les pilotes connaissent bien leur affaire. Ce sont des professionnels. Garder son calme et suivre scrupuleusement leurs indications est gage de succès. Handliners et pilote se connaissent et sont habitués à travailler ensemble ce qui est aussi gage de sécurité.
Choisir Eric Galvès nous a permis d’éviter de payer une caution substantielle et autorise les payements par transaction bancaires ce qui dispense de la corvée de retrait de liquide  ainsi que de l’attente pour récupérer la caution. Signalons que retirer de l’argent à Colon n’est pas exempt de risque, l’endroit étant peu sécurisé.

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