23/09/2014
III.16
Ce 29 août 2014 pendant le passage de Cristobal et les jours suivants…
Mais que se passe-t-il ? Devez-vous vous dire tant il est vrai qu’un certain déni de mon clavier a interrompu le récit de notre voyage. Mon dernier « rapport » date de notre retour en Belgique pour l’intervention chirurgicale de notre Manon. Nous étions fin juin et je m’aperçois ainsi que deux mois se sont écoulés sans que je n’aie pris la peine de vous narrer nos découvertes. Disons donc que, comme la plupart d’entre vous, j’ai pris quelques vacances qui vous aurons permis de penser plus aux vôtres qu’à notre long voyage et, dans le fond, je trouve que c’est très bien ainsi.
Partis de Halifax avec l’objectif de rencontrer nos amis Josiane & François du voilier Umialtak (signifie en inuit voyageur des mers) aux îles de La Madeleine, notre voyage s’écarta une nouvelle fois du projet initial en choisissant le Bras d’Or plutôt que d’emprunter le « Straight of Canso » qui sépare l’île du Cap breton de la Nouvelle-Ecosse. Des navigateurs rencontrés à Halifax avaient en effet vanté les superbes mouillages de ce Bras d’Or - mer intérieure décrite par les locaux comme la plus grande mer intérieure d’eau salée au monde ! Bref, devant leur enthousiasme, nous nous sommes décidés. Après donc trois étapes le long de la côte S de la Nouvelle Ecosse (Owls Head Bay, Beaver Harbour et Tor Bay) nous passions l’écluse pour entrer dans ce fameux Bras d’Or que nous avions hâte de découvrir. Première escale à St Peter’s marina située à l’ouest de la sortie du canal du même nom. Accueil exceptionnel. Là-bas – c’est presque une généralité au Canada – les personnes présentes aux environs de l’endroit que vous avez choisi de vous amarrer se précipitent pour saisir vos aussières et vous aider, le tout avec le sourire et des « nice to meet you » et autres « welcome ». Apprenant que toutes les commodités de la marina sont utilisables même si l’on est à l’ancre, nous ne nous faisons pas prier et ancrons à une encablure de la marina. Internet à bord et les toilettes et douches à disposition avec, à chacun de nos retours à terre, l’accueil souriant du « dockmaster » toujours prêt à rendre service ou fournir une information. C’est vraiment à regret que nous avons quitté cet endroit tellement charmant pour prendre la direction du N.
J’oubliais de dire que, depuis notre atterrissage sous une fine bruine sur l’écluse de St Peter’s canal, le temps s’est mis en mode estival, nous évitant le brouillard et nous accompagnant d’un grand soleil et de températures supérieures à 20°. Jusqu’à ce moment, il faut bien dire que nous étions loin, très loin de l’idée que l’on s’était faite du froid canadien. Quelques milles de navigation sans vent nous amenèrent à Pellier Island où nous nous sommes retrouvés tout seuls au milieu d’une nature qui se caractérisait par la grande, l’immense forêt canadienne où le silence règne en maître laissant toute la place aux cris perçants d’un couple d’aigles pygargues qui nous survolèrent pendant un long moment démontrant avec majesté leurs qualités de planeurs. Et, là-bas, perdus dans une crique semblant oubliée des hommes, nous savourâmes le calme et la quiétude bucolique qui nous était offerte tel un cadeau de dame Nature. Le bateau semblait contempler son âme dans le miroir de l’eau qui le portait. De temps à autre, le croassement d’un corvidé déchirait ce silence, un martin-pêcheur plongeait, des oies caquetaient… Un vrai bonheur !
Tous ces fabuleux mouillages de bonne tenue, c’est toujours presque à regrets que nous les avons quittés, passant sous le pont de Barra Strait pour jeter successivement notre ancre à Maskel’s Harbour et enfin à Baddeck où nous avons trouvé un chantier naval disposé à nous installer le chauffage DICKINSON que nous traînions en pièces détachées depuis le début de notre voyage ! Le travail terminé au cours duquel nous avons encore eu droit à de belles rencontres, nous avons poursuivi notre route avec une première étape à Otter Island (On ne pouvait décemment pas rater ça !) juste avant la sortie du Bras d’Or. De nouveau en mer ouverte, et par grand beau temps toujours établi, nous sommes passés par Birds Island où nous nous sommes régalés en observant des colonies de phoques qui se prélassaient au soleil où nous regardaient passant la tête tout juste sortie de l’eau. Des aigles pygargues tournoyaient et piquaient par moments sur les hauteurs de l’île qui, au vu des multitudes d’oiseaux qui nichent là, doivent représenter un fameux garde-manger pour ces magnifiques prédateurs. Des macareux par milliers forment sur cette île d’immenses colonies. Ils décollaient de partout dérangés qu’ils étaient par l’approche de notre étrave. Après avoir savouré cet exceptionnel moment de découvertes, nous nous dirigeâmes vers Ingonish Harbour où nous avons passé une nuit de calme et de tranquillité en compagnie du seul autre voilier partageant le mouillage. Relevons en passant que les voiliers de passage sont rares, très rares. On se demande vraiment pourquoi une si belle région est si peu visitée par la plaisance internationale. Les seuls bateaux que l’on croise ici sont soit canadiens, soit américains. Un seul voilier français fut croisé à Baddeck et revu à Ramea. Les autres nations européennes brillent par leur absence mais shut ! Si on revient un jour, on aimerait que rien ne soit changé et que la rareté des équipages continue à faire partie du grand plaisir de découvrir ces coins enchanteurs…
Sur la route des îles de La Madeleine, nous passâmes une nuit un peu plus stressante à l’île St Paul, inhabitée depuis peu et dont les fonds sont de très mauvaise tenue. Le temps étant au grand beau, nous nous y sommes risqués mais c’est avec un grand soulagement que je me réveillai avec le lever du soleil pour m’échapper rapidement du piège que pourrait devenir un tel endroit par fort vent d’E ! Et le 5 août, nous jetions notre pioche à Havre Aubert, magnifique et tranquille mouillage situé au S de l’archipel.
A peine arrivés, François, notre ami montréalais en vacances aux îles, apprend par courriel que nous sommes arrivés et nous donne rendez-vous. Avec ses deux sympathiques garçons, il nous prendra en charge, nous fera visiter les îles à bord de leur beau « camion » (c’est ainsi que les québécois appellent un 4x4) Mercedès et ce à deux reprises. Quelle joie de découvrir les îles avec de tels guides ! Nous aurons encore le plaisir de tester notre autonomie en leur absence en faisant du pouce (autostop), ce qui fonctionne très bien ici. Les autochtones savent qu’il n’y a ni bus, ni taxis, et embarquent donc les touristes assez volontiers. Il y aura encore le concours de châteaux de sable et, le clou de notre séjour, les succulentes tagliatelles aux fruits de mer de François où le homard madelinot prenait presque toute la place !!!
Le lendemain de nos au-revoir à nos amis, nous avons repris la mer vers l’E cette fois en direction de Terre-Neuve dont nous remonterons la côte SO, atterrissant d’abord à L’Isle aux Morts où un quai désert nous attendait. De là, nous irons visiter Port-aux-Basques en « camion » avec deux sympathiques retraités qui nous donneront même rendez-vous pour le retour. Ici commence un véritable désert social. Population vieillissante ou carrément disparue. A Grand Bruit, c’est tout le village qui est abandonné. Il n’y a plus âme qui vive ! La surpêche a bien fait son travail. La région est socialement sinistrée. L’océan a été vidé de tout ses poissons. Il faut vivre cela pour le croire. Une région si belle et sauvage dont toutes les ressources économiques ont été dilapidées par l’inconscience humaine. Nous promenant à Grand Bruit, nous ne rencontrerons que quelques caribous semblant être chez eux dans les rues désertées de ce beau village constitué de jolies maisons en bois peintes de toutes les couleurs. Nous poursuivrons notre route vers St Pierre & Miquelon en deux nouvelles étapes : Ramea où nous ferons le plein de fuel et François, petite communauté de 90 personnes, perdue au fond d’un fjord et uniquement accessible par la mer.
…/…
A St Pierre, nous nous amarrons au quai du yacht club et, le bateau est à peine rangé qu’un vieux pêcheur nous interpelle à propos de notre pavillon qui ne cesse d’alimenter les conversations à propos de son origine. La question est toujours la même : ils sont allemands ou belges ? Décidément, je pense qu’il n’y a que nos diables rouges qui auraient pu, en gagnant la coupe du monde, éviter à l’avenir ce genre d’hésitation ! Bref, ce vieux marin – il faut croire que sa vie a dû être bien plus pénible que la mienne car il n’a que trois ans de plus que moi qui, à côté de lui, ai tout l’air d’un gamin ! Bref, après avoir rassuré notre marin qui avait parié avec son copain que notre pavillon était belge, il nous propose fort gentiment de nous faire faire le tour de l’île dans son pickup. Comme il est un peu tard, nous acceptons bien volontiers mais pour le lendemain matin. Rendez-vous est pris partons à la découverte de cette île attachante qui sent bon la France.
Après quatre jours de traversée avec des vents contraires, du brouillard à couper au couteau mais un océan pas trop inconfortable, nous sommes arrivés en fin de matinée et sous un ciel pur et ensoleillé, à Lunenburg en Nouvelle Ecosse. Malgré les conditions de navigation le plus souvent au près serré avec ou sans l’appui du moteur, ma capitaine a réussi à nous cuisiner des coquilles St jacques aux petits légumes, une longe de porc à la moutarde, des spaghettis bolognaise et des filets mignons accompagnés de pommes de terre cuites dans de la graisse d’oie. Je ne suis pas certain que tous les navigateurs puissent se vanter de si bien manger en traversée ! Il est vrai que l’avitaillement avait été fait en France où, il faut bien le dire, les produits de bouche sont incomparablement délicieux. Il n’en est pas moins vrai que la cambusière de l’Otter II n’a pas son pareil pour les accommoder !
(à suivre)
03:21 Écrit par Otter2 dans Journal de bord, Rapport de terre/mer | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
Sur la route de Halifax
Rapport de terre/mer III.14c
Sixième jour de mer. L’Otter poursuit sa route inlassablement au moteur à travers cette haute pression qui n’en finit pas. On n’est jamais content ! Trop de vent, on fait la moue, trop peu, on se lamente… Les longues traversées vent constant de travers ne sont pas légion, ce serait trop beau. Comme chaque situation a ses avantages et ses inconvénients, il faut reconnaître que depuis l’accalmie qui nous a contraints à faire appel à notre moteur, j’ai rédigé deux rapports de mer et suis en train de commencer le troisième ! A terre, il y a tant et tant de choses à faire que le clavier est laissé un peu dans l’ombre. On l’utilise le plus souvent pour échanger des nouvelles du pays et de ses habitants sur facebook en ce qui me concerne, Marjo préférant se servir du courriel. Nous sommes connectés le plus souvent assez bien depuis l’installation de notre nouvelle antenne réceptrice du Wifi. En mer, et qui plus est au moteur, l’océan étant très calme, voire tel un lac, il n’y a rien à faire et comme l’idée de s’ennuyer ne me vient jamais à l’esprit, j’occupe celui-ci à la lecture des instructions nautiques utiles pour l’atterrissage (en anglais cela prend du temps et enrichit le vocabulaire !), la lecture tout court (j’ai toujours un roman entamé qui m’attend), les tentatives de communications satellitaires (Il faut dire à ce propos que les satellites Iridium ne desservent pas bien le NO de l’Atlantique car de multiples tentatives de connexion sont indispensables pour arracher au ciel les précieuses prévisions météorologiques) et, bien sûr la contemplation méditative de l’océan à laquelle je me livre toujours avec le même plaisir. L’océan grouille de vie mais seule une observation patiente permet de le constater. Pour l’instant par exemple, une baleine pourrait souffler non loin de nous sans que je m’en aperçoive tout occupé que je suis à rédiger ce rapport. On ne peut pas être au four et au moulin ! Ce matin, deux bonnes heures après le lever du soleil, j’étais assis sur notre beaupré – nous y avons installé un petit siège bien confortable pour y admirer les dauphins – et je contemplais la mer. C’est incroyable cette sensation qui est particulièrement bien rendue dans le film Titanic, cette sensation de voler au-dessus de l’océan, l’image du navire qui vous porte disparue dans votre dos. Votre champ visuel balaie l’océan à la recherche de mouvements inhabituels. A la chasse, c’est la même chose : c’est souvent par le mouvement que le gibier se laisse découvrir. C’est lors de cette attentive observation que je découvre au loin une série de moutons blanchâtres de plus en plus nombreux et se rapprochant, devenant multitude. Des centaines d’éclaboussures annoncent la venue d’une bande de très nombreux grands dauphins. Ils approchent et se déroutent pour venir se disputer la place royale située sous la sous-barbe de notre beaupré (que l’on appelle également delphinière lorsqu’il est habillé d’un filet protecteur comme sur les vieux gréements). Ils vont de çà et de là changeant de direction à faire pâlir les meilleurs joueurs de la NBA. Ils vont et viennent et se relaient sous l’étrave du bateau. Chacun veut avoir sa part du plaisir de caresser le point bas de notre sous-barbe du bout de l’aileron. Ce matin, pour la première fois, la bousculade était telle – je devrais plutôt écrire « l’impression de bousculade » car ils ne se touchent guère – qu’un des dauphins heurta cette forte pièce en acier inoxydable et s’en alla, je suppose tout penaud, réfléchir à la manière d’éviter à l’avenir ce désagréable contact ! Pendant près d’une demi-heure, ils se sont ainsi succédés, groupe après groupe. Je ne sais si ils m’entendent les encourager avec enthousiasme, leur crier qu’ils sont beaux, que je les aime, leur montrer par la voix le bonheur que j’ai de les rencontrer. J’ai voulu partager cela avec Marjo mais elle dormait et il faisait froid. J’ai joué l’égoïste, l’ai laissé dormir et enregistré ces belles images pour moi seul. Et oui, je viens de le signaler. Finis les tenues légères, voire d’Adam que les tropiques nous permettaient ! Ici, j’ai ressorti mes sous-vêtements Patagonia (Merci à Emily & Alex qui m’ont si bien équipé au fil de mes anniversaires !), mes salopette et veste de quart Trax, chaussettes et chaussures de pont.
La température a chuté d’un coup. 20° dans le carré. 16°C dans le cockpit. 12,3 °C dans l’eau !!! Du plus jamais vu depuis trois ans ! Le soleil fait des efforts pour briller de tous ses feux sans toutefois caresser l’idée d’égaler ses performances antillaises. Il est maintenant 10h14 locales et notre sillage va bientôt devenir canadien. Plus que quelques milles et nous quitterons les eaux américaines. Nous longeons le banc de Georges, endroit peu profond aussi grand si pas plus que la Belgique. D’après les prévisions, il nous faudra encore attendre demain après-midi pour achever notre traversée sous voiles, poussés par une petite brise de suroît qui viendra ponctuer cette belle traversée. Destination : Royal Nova Scotia Yacht Squadron à Halifax (à suivre…)
03:08 Écrit par Otter2 dans Journal de bord, Rapport de terre/mer | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |