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24/03/2014

Voyage de Charles Baudelaire

’Le voyage’’

 

poème de Charles BAUDELAIRE

 

dans

 

’Les fleurs du mal’’

(1861)

 

                                  

 

    À Maxime du Camp

 

I

 

Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,

L’univers est égal à son vaste appétit.

Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !

Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

 

Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,

Le cœur gros de rancune et de désirs amers,

Et nous allons, suivant le rythme de la lame,

Berçant notre infini sur le fini des mers :

 

Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ;

D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,

Astrologues noyés dans les yeux d’une femme,

La Circé tyrannique aux dangereux parfums.

 

Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent

D’espace et de lumière et de cieux embrasés ;

La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,

Effacent lentement la marque des baisers.

 

Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent

Pour partir ; cœurs légers, semblables aux ballons,

De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,

Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

 

Ceux-là, dont les désirs ont la forme des nues,

Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon,

De vastes voluptés, changeantes, inconnues,

Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom !

 

II

 

Nous imitons, horreur ! la toupie et la boule

Dans leur valse et leurs bonds ; même dans nos sommeils

La Curiosité nous tourmente et nous roule,

Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.

 

Singulière fortune où le but se déplace,

Et, n’étant nulle part, peut être n’importe où !

Où l’Homme, dont jamais l’espérance n’est lasse,

Pour trouver le repos court toujours comme un fou !

 

Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie ;

Une voix retentit sur le pont : «Ouvre l’œil !»

Une voix de la hune, ardente et folle, crie :

«Amour... gloire... bonheur !» Enfer ! c’est un écueil !

 

Chaque îlot signalé par l’homme de vigie

Est un Eldorado promis par le Destin ;

L’Imagination qui dresse son orgie

Ne trouve qu’un récif aux clartés du matin.

 

Ô le pauvre amoureux des pays chimériques !

Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer,

Ce matelot ivrogne, inventeur d’Amériques

Dont le mirage rend le gouffre plus amer ?

 

Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue,

Rêve, le nez en l’air, de brillants paradis ;

Son œil ensorcelé découvre une Capoue

Partout où la chandelle illumine un taudis.

 

III

 

Étonnants voyageurs ! quelles nobles histoires

Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !

Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,

Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers.

 

Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile !

Faites, pour égayer l’ennui de nos prisons,

Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,

Vos souvenirs avec leurs cadres d’horizons.

 

Dites, qu’avez-vous vu ?

 

IV

 

                                                                      «Nous avons vu des astres

Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ;

Et, malgré bien des chocs et d’imprévus désastres,

Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.

 

La gloire du soleil sur la mer violette,

La gloire des cités dans le soleil couchant,

Allumaient dans nos cœurs une ardeur inquiète

De plonger dans un ciel au reflet alléchant.

 

Les plus riches cités, les plus beaux paysages,

Jamais ne contenaient l’attrait mystérieux

De ceux que le hasard fait avec les nuages.

Et toujours le désir nous rendait soucieux !

 

— La jouissance ajoute au désir de la force.

Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d’engrais,

Cependant que grossit et durcit ton écorce,

Tes branches veulent voir le soleil de plus près !

 

Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace

Que le cyprès ? — Pourtant nous avons, avec soin,

Cueilli quelques croquis pour votre album vorace,

Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin !

 

Nous avons salué des idoles à trompe ;

Des trônes constellés de joyaux lumineux ;

Des palais ouvragés dont la féerique pompe

Serait pour vos banquiers un rêve ruineux ;

 

Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse ;

Des femmes dont les dents et les ongles sont teints,

Et des jongleurs savants que le serpent caresse. »

 

V

 

Et puis, et puis encore ?

 

VI

 

                                                                       «Ô cerveaux enfantins !

 

Pour ne pas oublier la chose capitale,

Nous avons vu partout, et sans l’avoir cherché,

Du haut jusques en bas de l’échelle fatale,

Le spectacle ennuyeux de l’immortel péché :

 

La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,

Sans rire s’adorant et s’aimant sans dégoût ;

L’homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,

Esclave de l’esclave et ruisseau dans l’égout ;

 

Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote ;

La fête qu’assaisonne et parfume le sang ;

Le poison du pouvoir énervant le despote,

Et le peuple amoureux du fouet abrutissant ;

 

Plusieurs religions semblables à la nôtre,

Toutes escaladant le ciel ; la Sainteté,

Comme en un lit de plume un délicat se vautre,

Dans les clous et le crin cherchant la volupté ;

 

L’Humanité bavarde, ivre de son génie,

Et, folle maintenant comme elle était jadis,

Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie :

«Ô mon semblable, ô mon maître, je te maudis !»

 

Et les moins sots, hardis amants de la Démence,

Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,

Et se réfugiant dans l’opium immense !

— Tel est du globe entier l’éternel bulletin.»

 

VII

 

Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !

Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,

Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :

Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui !

 

Faut-il partir? rester? Si tu peux rester, reste ;

Pars, s’il le faut. L’un court, et l’autre se tapit

Pour tromper l’ennemi vigilant et funeste,

Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit,

 

Comme le Juif errant et comme les apôtres,

À qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,

Pour fuir ce rétiaire infâme : il en est d’autres

Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.

 

Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine,

Nous pourrons espérer et crier : En avant !

De même qu’autrefois nous partions pour la Chine,

Les yeux fixés au large et les cheveux au vent,

 

Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres

Avec le cœur joyeux d’un jeune passager.

Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres,

Qui chantent : «Par ici ! vous qui voulez manger

 

Le Lotus parfumé ! c’est ici qu’on vendange

Les fruits miraculeux dont votre cœur a faim ;

Venez vous enivrer de la douceur étrange

De cette après-midi qui n’a jamais de fin !»

 

À l’accent familier nous devinons le spectre ;

Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous.

«Pour rafraîchir ton cœur nage vers ton Électre !»

Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.

 

VIII

 

Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre !

Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !

Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre,

Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons !

 

Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte !

Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,

Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe?

Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !

 

16:35 Écrit par Otter2 | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |

23/03/2014

rapport de terre/mer III.9a

Ce jeudi 20 mars 2014.

 

L’inoubliable nuit à Attwood Harbour…

 mouillage.jpg

 

Quelle nuit, mes amis ! Et c’est dans l’abri que nous croyions si confortable que cela s’est passé. Nous sommes donc à Acklins Island dans cette petite crique appelée Attwood Harbour, reposant notre système nerveux tant notre nuit que nous avions rêvée au calme de cette petite anse paraissant sur la carte être un havre de paix, fut cauchemardesque. La houle entre ici en se sentant vraiment  chez elle ! Les brisants signalés à l’entrée de cette sympathique crique se prolongent à marée basse à l’intérieur du mouillage. A quelques encablures de notre Otter, les lames déferlent montrant ainsi l’amplitude de la houle (un bon mètre !) qui entre ici. Ce matin, deux superyachts, un bateau de pêche sportive, deux voiliers et nous occupions cet infernal chaudron. Les départs précipités dès le lever du soleil en dirent long sur le déplaisir insomniaque des occupants du mouillage. Quant à nous, ne faisant pas exception, nous étions lessivés. Si il y a quelque chose de déplaisant en navigation, c’est bien un mouillage rouleur ce qui fut le cas ! Deux options s’offraient à nous : reprendre la mer comme les autres pour un autre saut d’au moins une trentaine de milles ou insister en tentant intelligemment de gérer la situation. L’endroit méritait une hésitation. Mis à part cette houle déplaisante, l’endroit est joli et les brisants à l’entrée constituent à eux seuls un merveilleux spectacle. De plus, il nous a été dit qu’ici, les langoustes se font légions ! Après un rapide conciliabule, la décision est prise. Le mouillage étant désert, on pouvait choisir la meilleure place par rapport à la houle ce que nous fîmes en plaçant une ancre à la poupe du bateau pour que celle-ci nous maintienne le cul face à la houle. Au moment où j’écris ces lignes, la situation est stable. Le mouillage est désert. Nous sommes de nouveau seuls et le bateau tangue mais ne roule plus. Cerise sur le gâteau, il y a une belle langouste qui nous attend pour le souper. Il n’est pas mal dans le fond ce petit mouillage !...

18h00. Le soleil amorce sa descente vers l’horizon. Le vent a tourné et commence à nous mettre en position de rouler encore malgré l’ancrage arrière. Il nous reste une heure pour nous préparer et quitter les lieux.

Prochaine escale : Rum Cay, petite île située au NO et dont l’abri des vents qui tournaient au NNE était assuré. 79 milles au près par vent prévu de 2 Beaufort. Arrivée prévue pour le début de l’après-midi du lendemain. Et, c’est parti. On franchit la barre qui déferle sur presque toute la largeur du chenal d’accès. La houle de plus d’un mètre – plus importante qu’à notre arrivée - nous conforte dans notre décision de poursuivre notre voyage. Et c’est donc vers une bonne nuit de navigation tranquille que l’Otter II nous emmène, toutes voiles dehors.

(à suivre…)

 

rapport de terre/mer III.9

Rapport de terre/mer III.9

 

Le roi de Mayaguana

 


DSC01718.jpgAprès nous être reposés au cours d’une belle nuit à l’abri de la barrière de corail - du reef comme on dit ici - nous nous sommes dirigés en dinghy vers ce qui semblait être le débarcadère incontournable de l’île. La marée est basse et même le tirant d’eau du dinghy se révèle trop important. Il nous faut donc « trimer » le moteur au maximum pour nous éviter de terminer à la rame ! Le petit chenal sablonneux apparaissant sous la trentaine de centimètres d’eau en dit long sur le labourage des hélices au quotidien. Le balisage n’est pas nécessaire. Il suffit de suivre la tranchée de sable dans le fond herbeux !

DSC01689.jpg

DSC01700.jpgNotre amarre frappée sur la seule bite du quai, nous partons à la découverte de l’île. Une immense antenne nous laisse espérer une bonne connexion Wifi et nous oriente sur la seule option à prendre, une petite route dont l’asphalte est dévoré par les ans. Chemin faisant, nous croisons un grand noir qui nous aborde dans un anglais dont seule Marjo décrypte le sens mais dont l’expression non verbale est toute empreinte de sympathie. Elle comprend que ce Yul – c’est son surnom qu’il doit à sa ressemblance (assez contestable à mon avis) à l’acteur Yul Brinner ! – ne nous veut que du bien. Il se dit le personnage le plus important de l’île et nous annonce qu’il peut tout nous procurer : eau, fuel et services en tout genres. Il est plombier, électricien, facteur, et j’en passe mais aussi et je ne voudrais pas le manquer : docteur. Et oui, il nous dit avoir étudié tout cela et savoir conseiller ses compatriotes en cas de problèmes, maladie ou autres… Bref, tout en nous énumérant ses innombrables qualités – moi, je le trouve un peu mytho mais il est vrai que je ne comprends pas tout ce qu’il raconte - il nous emmène au village où nous ferons notre « clear in » pour les Bahamas. Pendant que Marjo remplit les papiers, notre Yul, sur un ton assez autoritaire, m’invite  à m’asseoir et à sortir mon ordinateur car la connexion Wifi est ici, dit-il, la meilleure de l’île et il sait que je suis impatient d’avoir des nouvelles du pays. D’habitude, nous sommes très discrets avec nos ordinateurs pour ne pas avoir l’air de squatter sans vergogne ; surtout dans les bureaux de l’immigration où nous nous faisons tout petits car la plupart du temps, d’accord, c’est convivial mais pas jusqu’à être rigolo ! Lui, manifestement est ici comme chez lui et tout le personnel souriant semble se mettre à notre service. Et quel service ! Le responsable local des télécommunications restera une bonne heure et demie avec Marjo pour lui bricoler une carte SIM qui transformera son iPad en borne Wifi et en téléphone tant que nous resterons dans les eaux des Bahamas. Avec une patience exemplaire, il répondra aux questions de Marjo jusqu’à ce qu’elle soit rassurée sur le bon fonctionnement de son achat. Il faut dire que nous n’avons pas l’habitude d’assister dans les points de vente Base et autre Mobistar européens à des séances de bricolage allant jusqu’à découper une carte SIM à l’aide d’un emporte-pièce semblant prévu à cet usage ! Bref, après une bonne heure et demie d’essais-erreurs tout en sourires patients, ça fonctionne ! Il est 17 heures et les bureaux d’immigration et douane ferment. Les préposées nous indiquent fort gentiment que la connexion wifi n’est pas interrompue et peut être captée le plus facilement assis sur le seuil, derrière les bâtiments. Quelle merveille que la gentillesse émanant de cette population insulaire perdue au milieu de nulle part. Ils sont 300 sur l’île et se connaissent tous par leur prénom et donc, dans ce petit monde, notre Yul nous raconte l’histoire de sa famille de sang royal, précision qu’il accompagne de photos montrées sur son Blackberry où on voit son grand-père noir et son arrière grand-père, un anglais – blanc bien-sûr - qu’il dit être proche de la famille royale d’Angleterre, photographié en compagnie d’une esclave qui aurait été son arrière-grand-mère ! « Je ne suis donc pas black , I’m brun», nous déclare-t-il ajoutant pour nous rassurer quand à la couleur de notre sang « non royal » que  de toute façon, la couleur du sang est rouge quelle que soit celle de la peau. Un vrai philosophe dans le fond notre Yul !

Toutes ces histoires, il nous les racontera en partie le lendemain où nous irons découvrir le « reef » en sa compagnie à la recherche de langoustes qui brilleront par leur absence et de lambis dont Marjo pêchera un magnifique spécimen. Revenus à terre après un apéritif à bord où on lui a offert – cadeaux de roi vu son enthousiasme – mon vieux sac à dos ainsi qu’une vieille paire de palmes qui nécessitait une petite réparation, Yul nous montre comment sortir le lambi de sa coquille, le nettoyer et nous explique comment le préparer car, comme le poulpe, il faut le battre avant de le cuire !  Quand Marjo – qui adore les noix de cocos – lui demande s’il serait possible de lui en cueillir quelques unes, il répond que cela ne pose aucun problème puisque l’île lui appartient avec, bien entendu, tous les cocotiers qui y poussent !


DSC01690.jpgLe lendemain, après les échanges de photos, nous prîmes congé et je reçu en cadeau car notre ami ne voulait pas être en reste, son arbalète de chasse sous-marine très particulière car constituée d’une flèche de deux mètres de long sur laquelle coulisse une poignée dotée de deux sandows. Cette « arme » m’a semblé plutôt être une défense contre les requins dont notre « roi de Mayaguana », ses nombreuses mises en garde en témoignent, ne partageait manifestement pas l’idée qu’ils seraient inoffensifs !...

Revenus à l’embarcadère, trois noix de coco nous avaient été déposées dans le dinghy.

(à suivre...)

16/03/2014

rapport de terre/mer III.8

Rapport de terre/mer III.8

 

Ce jeudi 13 mars 2014

 

De South Cay où nous étions vraiment à l’abri de l’alizé et de la houle, nous avons rallié Providenciales, plus familièrement appelée « Provo ». A l’E, alors que nous étions encore dans le « deep blue water »,                                     nous rencontrons une baleine à bosse dont Marjo aura le temps de prendre deux clichés avant qu’elle ne sonde. La traversée commence bien. 50 milles nautiques à raser le fond avec notre tirant d’eau de 2 bons mètres ! Fort heureusement sans vent, nous pouvions bien voir le fond défiler sous la coque. Au départ, Marjo à la barre et moi assis comme une figure de proue sur le petit siège en bout de beaupré. Le stress est bien présent. Je guide Marjo mais les minutes passent et la lassitude s’installe. Voir défiler le fond à travers cette eau turquoise d’une limpidité incroyable finit par m’endormir. C’est comme si le fond de la mer m’hypnotisait. DSC01628.jpgCe rase-mottes pendant plus de 8 heures finit par devenir une sorte de condition disons « normale » de navigation. Plutôt que m’endormir sur le beaupré, je me suis focalisé sur les cartes très précises de Raynald Collard, navigateur canadien ayant beaucoup travaillé pour  les produire en combinant les prodigieux outils Google earth, guides nautiques et autres cartes. Au fur et à mesure de notre progression sur ce plateau coralien « very shallow », nous avons repéré la plupart des patates de corail signalés sur la carte et avons ainsi pu lever le doute quant à la confiance que nous pouvions accorder à cette prodigieuse aide à la navigation à laquelle est venue s’ajouter la comparaison des données avec les cartes Navionics dont Marjo avait chargé son iPad ! C’est donc sans encombres mais fourbus que nous avons déposé notre ancre à l’abri de French Cay, petite île déserte au SO de Caicos Bank. Seule rencontre dans ces eaux, un couple de pêcheurs locaux venus nous proposer des langoustes que nous leur avons achetées avec le plaisir de la rencontre et celui de nous dire que nous les avions bien méritées ! Comme à l’accoutumée, j’avais à peine eu le temps de m’installer pour notre traditionnel apéritif du « sunset » que les langoustes étaient cuites et préparées pour être dégustées froides. Embrasant le ciel, le soleil était couché quand nous nous régalâmes de ce providentiel menu.

Le lendemain, après une courte navigation placée sous le signe de la rencontre de deux dauphins magnifiques, nous posions notre ancre à « Provo » sous le vent de Five Cays.tuks___caicos.jpg

Après une excellente nuit de sommeil – nous sommes le mercredi 12 mars 2014 – nous devons rallier la terre en dinghy pour repérer les bureaux où faire notre sortie, trouver du WiFi pour nos courriels et la météo et éventuellement effectuer quelques achats de légumes et fruits notamment. Nous ne savons absolument pas par où commencer nos recherches car aucun débarcadère n’est en vue. La ligne droite vers de petites embarcations de pêcheurs nous paraissant la meilleure option, nous nous dirigeons vers elles en remarquant que les fonds remontent très vite au point de nous obliger de relever notre moteur et de finir pendant de longues minutes à la rame tant – nous sommes à marée basse – le plateau menant à la plage est étendu et peu profond. C’est donc en ramant que nous atteignons la plage où un pêcheur local s’activait auprès de son bateau. Il nous fait un grand signe de bienvenue et vient vers nous. C’est un beau noir rasta affublé d’un grand bonnet de laine contenant la masse de ses cheveux. Il est très souriant et nous propose son aide en nous disant que la ville est encore très loin mais qu’un de ses cousins – nous apprendrons par la suite que des cousins, il en a beaucoup et tous rasta ! – peut nous véhiculer. Un peu piégés par les circonstances, nous acceptons et emboîtons le pas à ce sympathique pêcheur. C’est ainsi que nous pénétrons dans une sorte de territoire semi-fermé implanté de petites maisons en dur mais qui semblent toutes ou presque en chantier. Des chiens de races indéfinissables, indolents siestent un peu partout. Des noirs de tous âges mais exclusivement masculins vaquent à diverses occupations de bricolage, voire de jeu. Il nous semble être entrés dans une sorte de communauté « rasta ». Notre guide nous présente alors notre chauffeur affublé d’un énorme bonnet multicolore qui en dit long sur le nombre d’années de cheveux conservé ainsi à l’abri de la lumière ! L’homme est affable et nous annonce qu’il n’y a aucun problème à ce qu’il nous véhicule jusqu’à une banque, un supermarché et un point « Wifi free ». D’une banque, il nous faudra nous rendre à une autre ; après quoi il nous emmènera à un supermarché où il nous laissera faire nos course pendant qu’il ira rechercher sa fille à l’école puis qu’il cherchera assez longtemps avant de se décider à comprendre ce que c’était le Wifi. Bref, après avoir enfin rencontré toutes nos demandes, nous revînmes au « village rasta » où nous offrirons une bière à notre sympathique chauffeur. Dédommagé pour sa peine, il poussa la gentillesse jusqu’à nous ramener en voiture à la plage et nous aider à remettre notre annexe à l’eau. C’est fou comme ces gens sont cools ! La marée avait eu le temps de remonter et c’est au moteur mais prudemment que nous retrouvâmes notre Otter se dandinant tout seul au mouillage.DSC01680.jpg

Après avoir fait notre clear-out, nous sortons du Caicos Bank par l’ouest en poursuivant notre navigation en rase corail et nous ancrons un peu au S en attendant minuit avant de franchir le Caiacos Passage. Il convient en effet de ne pas arriver n’importe quand à Mayaguana car l’entrée du lagon protecteur est « shallow », « very shallow ». Ce mot fait définitivement partie de mon vocabulaire et me fait toujours penser à nos amis canadiens pour qui la traduction n’est pas « peu profond » mais bien « point creux ! »

 

 

Après une toute petite nuit de sommeil, à minuit donc, nous levons l’ancre et, faute de vent, entamons la traversée au moteur. Au fur et à mesure de notre remontée vers le NO, nous établîmes les voiles avec le vent qui montait mais qui a forci à un tel point que nous dûmes réduire notre voilure en arisant notre grand voile à deux reprises et en enroulant notre yankee jusqu’à ne plus avoir qu’un petit mètre carré d’établi ! La mer se creusant et le vent refusant tout en forcissant, cette traversée qui se pronostiquait  très tranquille s’est avérée plutôt musclée !  On ne peut pas gagner à tous les coups… Nous sommes donc installés au calme de ce mouillage enfin atteint. Après une visite de l’île -  pour effectuer le « clear-in » - aux 300 habitants, nous sommes rentrés à bord et, contents d’être enfin chez nous pour récupérer, nous vaquons à nos occupations avant une bonne nuit de sommeil réparateur. Marjo termine de ranger sa cuisine et moi, je tape sur mon clavier afin de partager avec vous, les points forts de notre aventure.  Reste à installer ma couchette, un bon livre et bonjour Morphée…

(à suivre)

rapport de mer/terre III.7

Rapport de mer III.7

 

Ce samedi 8 mars 2014.

 

Impossible de passer sous silence, avant de poursuivre le récit anecdotique de notre voyage, le « Whale watching » que nous nous sommes offert la veille de notre départ vers les Turks & Caïcos. Ce fut une matinée inoubliable car la rencontre des baleines à bosses à bord d’un gros bateau à moteur est quelque chose d’exceptionnel. Des dames océanologues et passionnées des mammifères marins nous y commentèrent chaque rencontre, expliquant l’âge des baleineaux, les moments de leur naissance, les moments de leur conception, étonnamment, juste après la mise bas.
baleines1rap.jpg C’est dire s’il y a de l’activité dans la baie ! Les mâles se jaugent et se provoquent dans des sauts qui pourraient être (ce ne sont qu’hypothèses) des comportements de séduction. En même temps, des femelles accouchent, d’autres allaitent et éduquent. Car à la fin du mois de mars, les petits doivent être capables de suivre leurs parents vers le N. De bien intéressantes explications, d’excellentes conditions d’observation, le capitaine de notre bateau ayant plus de dix ans d’expérience d’approche, approche qui ne se fait pas en dépit du bon sens. Il faut un grand sens de l’observation pour anticiper sur le mouvement des animaux et évaluer l’endroit où ils feront surface après avoir sondé. Un grand moment de vie, un grand moment de réflexion sur la richesse de la biodiversité et sa défense devant les comportements irresponsables d’exploitants sans scrupules…

Le lendemain, quittant la baie de Samana à bord de l’Otter II et comme pour saluer notre départ, un grand mâle est venu sauter majestueusement à une encablure de notre babord. Et c’est avec ces magnifiques images en tête que nous prîmes la mer pour une traversée de 190 miles, de quoi continuer à rêver pendant nos quarts…

 

Arrivés à Grand Turk, jeudi passé à 22h00 locales, nous avons bien récupéré de notre belle traversée.



M’adressant à mon Ami Jean-Paul en cours de celle-ci, voici quels étaient mes états d’âme en ce moment privilégié. J’écrivis en ce bel après-midi : « (…) Et pourtant, il me plaît de décrire cet environnement extraordinaire qu'est la mer sur laquelle nous glissons en direction des Turks & Caïcos. Je suis assis dans le cockpit, bien calé dans des coussins. Il est 15h30 et le soleil a entamé sa course plongeante vers l'horizon. L'océan est d'un bleu outremer incroyablement lumineux. Nous naviguons au grand portant presque vent arrière, l'alizé soutenu oscillant entre 4 et 5 sur l'échelle de Beaufort. Il creuse donc l'océan, le parsemant de moutons d'écum


 
e d'une blancheur rendue éclatante et lumineuse par le soleil, omniprésent. C'est ce qu'on appelle en terme de marins "la mer du vent". Celle-ci est croisée par la grande respiration Atlantique plus courte qu'en Europe ce qui donne souvent une mer caraïbe un peu chiffonnée. Mais comme c'est beau ! Le bateau roule un peu ce qui n'est pas dérangeant. Cela berce, même. Mais, de temps à autre une lame un peu moins disciplinée vient quelque peu perturber cette harmonie et nous secoue, l'air ainsi de nous rappeler que nous sommes en traversée, loin des côtes et que la vigilance reste de rigueur ! Le bateau, lui, semble se rire de ces dunes d'eau qu'il laisse passer sous sa quille, levant le cul pour les laisser passer  et pour tout aussitôt, profiter de leur pentes pour accélérer. Nous filons ainsi en

Dorade.JPGtre 6 et 7 noeuds depuis nos adieux aux baleines. Marjo lit, installée à mes côtés. Nous digérons le succulent repas qu'elle a élaboré avec les moyens du bord sur la base de notre fabuleuse pêche d'hier soir. Une magnifique dorade coryphène (on l’appelle aussi Mahi-Mahi) d'une petite dizaine de kilos est en effet venue se faire surprendre par le leurre que nous traînons régulièrement en vue d'enrichir de poissons frais notre ordinaire. Accompagnée de quelques pommes de terre et carottes, ce fut un véritable délice. »

Alors que je reprends le clavier (c’était quand même plus joli quand on disait « la plume »), je suis encore sous le charme gastronomique de la dorade que nous continuons à déguster jour après jour et préparé chaque fois de façon différente et originale par mon cordon bleu. La soupe de poissons qui mijote déjà avec les restes me laisse augurer du futur plaisir que nous aurons à passer à table demain !

Mais revenons à Grand Turk et Cockburn town. Descendus à terre, nous partons comm

e d’habitude en exploration avec comme priorité la recherche des spots WiFi free ! Mais aussi des supermarchés - la rech

DSC01184.JPGerche de nourriture étant devenue obsessionnelle chez Marjo !  - et des musées et autres curiosités. C’est là qu’une anecdote a retenu mon attention pour égayer ces rapports et arriver à vous faire sourire, le cas échéant.

 

Déambulant dans les rues, découvrant çà et là une ou l’autre curiosité que Marjo se dépêche de photographier, nous tombons nez à nez en face du « National Museum ». La porte est ouverte. Nous entrons. Je précise que c’est Marjo qui rentre et moi qui suit ! C’est très important pour la suite. Nous montons un escalier et pénétrons dans une salle seulement éclairée par la lumière du jour filtrant à travers la porte d’entrée vitrée. Je m’avance vers l’entrée d’une pièce adjacente et crie : « Il y a quelqu’un ? ». «Is there somebody » aurait été plus approprié mais enfin, on ne se fait pas refaire ! Aucune réponse. Cela ne semble pas perturber Marjo qui cherche l’interrupteur, allume, visite la pièce principale dont les vitrines se sont éclairées comme par enchantement, passe dans la pièce suivante, allume, visite, quitte la pièce sans oublier d’éteindre suivie en cela par son mari restant quand même très étonné que personne ne surveille ce p… de musée. Enfin, Marjo me disant que c’est sûrement par souci d’économie que les pièces sont plongées dans l’obscurité, nous poursuivons notre visite, persévérant en bons écologistes dans l’allumage et l’extinction des feux. C’est alors que, pénétrant dans la dernière pièce, nous déclenchons l’alarme et là, je me dis que mon appréhension était justifiée ! Marjo n’en dit rien mais presse le pas pour redescendre l’escalier et se rendre compte que la porte d’entrée est fermée ! « M…, Marjo, on est renfermés ! » Marjo secoue la porte, bien décidée à ne pas se laisser piéger comme des rats. Moi, je pense qu’on aurait bien mieux fait de ne pas insister et de redescendre immédiatement plutôt que cette « sauvage visite » qui ne me
DSC01186.JPGdisait rien qui vaille ! Un peu le « si j’aurais su, j’aurais pas v’nu » de Ti Gibus dans la guerre des boutons. Quand je vous disais que je n’étais pas un héros !

Marjo poursuivait ses tentatives d’ouverture en secouant la porte avec l’énergie du dépit quand deux dames « shocking » ouvrent et demandent : « What are you doing here ? The museum is closed ! » Elles poursuivent leur litanie de personnes ne comprenant vraisemblablement rien à rien. Nous nous sommes vraisemblablement croisés pendant la fermeture et avons fort heureusement – pour nous – déclenché l’alarme, sans quoi nous passions la nuit emprisonnés dans le musée. Mais qu’avons-nous été provoquer là ? Nous apprenons que l’alarme est reliée à la police et que la visite du musée est payante mais pas aujourd’hui, jour de fermeture ! Nous avions omis de bien lire l’écriteau des horaires d’ouvertures placé à l’entrée…

Devant l’attitude scandalisée des deux responsables du musée et les conséquences de notre étourderie, sans demander notre reste cette fois ! Quand je pense à la nuit que nous aurions passée là !après nous être excusés, nous avons pris la clé des champs et avons poursuivi notre visite le plus discrètement possible...DSC01224.jpg

 

(à suivre)