03/09/2013
Deux bateaux s’aimaient d’amour tendre…
Deux bateaux s’aimaient d’amour tendre… à l’insu de leurs propriétaires.
Il était une fois l’Otter II, Hans Christian 43T[1], que son équipage, Marjo et Jean, avait prêté à un chantier lorientais pour l’aider à donner vie à d’autres beaux bateaux comme lui. Ils ignoraient que leur Ami supporterait mal l’éloignement de la merveilleuse rivière de Pénerf où il se sent si bien en été. Il était nostalgique, ne côtoyant dans le vieux port, hormis son nouvel ami Yves, que des bateaux de passage, pas toujours beaux et pas toujours bien élevés. Enfin, il se faisait une idée de tout cela, prenant son mal en patience en attendant de pouvoir prendre le large. Il était mélancolique et tirait mollement sur ses amarres…
Un beau jour, son cœur soudain s’accéléra. Une belle unité, racée comme lui mais un peu plus petite, vint prendre place à un ponton situé non loin de lui, à peine une encablure l’en séparait. « Elle est belle et très jeune », se dit-il. À partir de ce moment, il n’a d’yeux que pour elle. Il n’en peut plus de tirer sur ses amarres en l’absence toujours trop longue de son skipper. Impossible de lire son nom. Encore moins de le lui demander. Tout le monde sait que les bateaux ne peuvent que murmurer à l’oreille des seules personnes qui les aiment et les écoutent. Un beau jour, la belle est prise en charge par de nouveaux propriétaires et quitte Lorient. Otter la regarde s’éloigner avec tristesse mais l’image de son nom peint sur sa fesse gauche, ne le quitte plus : « La Clémence ». « L’a-t-elle seulement remarqué ? », se dit-il. Plein d’espoir, il pense qu’un jour peut-être, il la reverra.
L’été venu, quittant la rade de Lorient pour son vagabondage estival, Otter n’a qu’une seule idée : la retrouver au détour d’un cap, d’une baie ou l’attendre dans un merveilleux mouillage. Son barreur le trouve bien fringuant en ce début de croisière. Il ignore encore que son meilleur Ami est amoureux. Et d’ailleurs, est-ce bien raisonnable de penser qu’un bateau puisse l’être ?
À la fête de la mer de Pénerf, Otter est tout pavoisé. Ses propriétaires l’ont décoré. Outre son grand pavois[2], il arbore tous les pavillons de courtoisie gagnés au cours de ses nombreux voyages. Les bateaux à faible tirant d’eau ne sont pas, comme lui, contraints de rester amarrés à leur corps-mort. Ils tournent autour de lui avec élégance. Tous ont revêtu leurs plus beaux atours. Les feux de Bengale, les cornes de brume, les chants de marins, le son des binious du bagad[3] venu pour la circonstance, donnent à la fête tout son panache pendant la bénédiction de la mer.
Mais Otter est toujours un peu triste. Certes, il a beaucoup navigué. Ses propriétaires l’ont emmené jusqu’au Portugal. Mais partout où il est allé, nulle part il n’a aperçu La Clémence. « La reverrai-je un jour ? », se lamente-t-il.
Soudain, alors que tous les vieux gréements appareillent pour aller faire la fête au Croisic, La Clémence est là. Sa grand voile haute, timidement, elle tourne autour de lui. Il entend à peine ce que les personnes se disent des deux bords. Il est sous le charme… À peine rencontrée, la voilà qui s’éloigne encore et disparaît lentement, empruntant la passe de l’Est.
Plusieurs jours plus tard, alors qu’il continue à se reposer un peu trop à son gré, Marjo et Jean lui cherchent un nouvel endroit où passer l’hiver moins loin de sa belle rivière. Ils n’en parlent guère, lui réservant la surprise ! Ainsi, à la fin du mois d’août, l’Otter II dirige son étrave vers un endroit merveilleux qu’il connaît déjà : une autre rivière, mieux abritée : la belle Vilaine qu’il remonte jusque La Roche-Bernard.
Alors qu’il vire de bord vers le vieux port où l’attend son nouvel emplacement, Otter distingue le beaupré[4] caractéristique d’un Hans Christian. Un doute surgit : « Serait-ce La Clémence ? »
Amarré avec soin à côté du bateau restaurant et presqu’en face de la capitainerie, l’Otter est tout excité. Il est presque certain que c’est la Clémence qu’il a vue. Il n’y a plus qu’à attendre. Le hasard fera bien les choses. Et comme dans toutes les belles histoires d’amour, ce sont souvent les demoiselles ou les dames qui prennent l’initiative…
Voilà donc qu’arrive dans son cockpit, le plus beau cadeau que Otter ait reçu de toute sa vie :
« Dans le port de Lorient
Parmi les goélands,
Tu paraissais si grand
Si fort et triomphant.
Je voulais t’attirer
Tout au moins essayer,
Te parler d’amitié,
Peut-être me faire aimer.
J’étais intimidée,
Dans mes petits souliers,
Je n’osais t’approcher,
Encore moins t’aborder.
Je suis un peu joufflue,
Et je sais que mon cul
N’est pas vraiment pointu
Ni mes hanches menues.
Je ne saurais te plaire,
Mais ne suis pas amère,
Et je saurais bien faire
Ma vie sans ton aussière
Je suis heureuse en mer,
Et puis, sous le ciel clair
J’aime à croire, cher OTTER
Que tu es mon grand frère
« Mon grand frère, mon grand frère ! Facile à dire cela après m’avoir tout émoustillé… »
Gageons que le grand frère n’a pas dit son dernier mot et regrettons ensemble que l’on ne puisse conclure :
ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants !
Jean LUMAYE
[1]Type de bateau inspiré des premiers bateaux de sauvetage norvégiens dessinés par Colin Archer. / 43 est la longueur en pieds soit environ 12,50 m. / T pour traditionnel.
[2] Le grand pavois désigne la décoration des bateaux à l’aide de pavillons qui, avant l’invention de la VHF, servaient à la communication. Ces pavillons se hissent les uns derrière les autres et se répartissent de la poupe (du cul – on peut le dire d’un bateau sans vulgarité - ) à l’étrave en passant par la pomme du ou des mats. Ce grand pavois ne peut être arboré qu’au port et uniquement aux fêtes officielles ou après demande dûment effectuée auprès de la capitainerie locale.
13:29 Écrit par Otter2 dans Un peu de poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
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